Depuis huit jours, l’affiche coloriée est placardée sur tous les murs de la ville. Un grand polichinelle entouré de jouets, se courbe respectueusement invitant les passants à venir découvrir les dernières nouveautés. Monsieur Cadoux, directeur du grand magasin Paris-Montpellier a décidé de frapper un grand coup. L’exposition de jouets du jeudi a déclenché l’admiration des bambins venus en famille choisir leurs étrennes. La grande vitrine de la rue Maguelone accueille un magnifique paysage de campagne reconstitué. Rien n’y manque : un aqueduc sous lequel coule une eau claire, une grande maison de ferme, des personnages, des animaux… et même un train qui serpente entre les grands arbres et les ravissants mazets. Et il se murmure que l’arbre de Noël, qui doit être dressé au milieu de l’établissement, pourvu d’objets utiles et de jouets, sera encore plus magnifique que les années précédentes. C’est que pour la première fois, à la veille de basculer dans le nouveau siècle, le Paris-Montpellier, inauguré en octobre 1897, doit affronter un nouveau grand rival, installé à quelques mètres de là, sur la Comédie.
Un bonheur des dames
Achevée en décembre 1898, la construction des Nouvelles Galeries, confiée à l’architecte Léopold Carlier, a vu affluer en effet une clientèle curieuse et enthousiaste, devant le grand immeuble aux toits d’ardoises, équipé du matériel dernier cri, que ce soit en matière de menuiserie, de peinture, de sanitaires, d’éclairages ou de carrelages céramiques… On s’enthousiasme devant les sculptures de façades confiées aux ciseaux de M. Baussan, les vitraux signés par la maison Lémal, Raquet et Prost, les 500m2 de surfaces vitrées (dont plusieurs panneaux d’une superficie de 20 m2). Sans oublier les trois moteurs à gaz du système Otto, installés dans le sous-sol de l’établissement qui diffusent l’éclairage électrique. Et bien sûr les rayonnages magnifiquement achalandés des dernières nouveautés.
Les belles enseignes du centre-ville
Ces deux somptueux « vaisseaux » du nouveau commerce n’empêchent pas les clientes de se précipiter en nombre dans les boutiques de renom du cœur de ville, qui redoublent d’attention dans ces périodes des fêtes. On se presse rue de l’Ancien Courrier chez le fourreur Lurac, où sont présentés les collets de dame, les pelisses d’hommes et paletots de chasse, avant un petit tour à la Parfumerie Centrale, rue de la Loge, chez M. Villa pour choisir ses essences de fêtes. On admire aussi les tissus et lainages en vente au célèbre Sans Pareil ou les soiries du Mikado, dans la Grand’ Rue, la confection pour adultes et enfants à la Grande Maison, à l’angle de la rue de la Loge et la place de la Comédie ou les bottines et chaussures de La Créole, rue de la Loge, chez Mr Tobie Jullian… Très vite, il faudra penser aux repas de fêtes. On s’échange les recettes : croquettes aux truffes, langouste rémoulade, civet de lièvre, grives rôties sur canapé, cuissot de chevreuil Saint-Hubert…
Un arbre de Noël pour les étudiants
L’un des moments les plus attendus dans cette période des fêtes est aussi le traditionnel Arbre de Noël des Étudiants. Même si le temps fait grise mine en cette fin de siècle, une foule de visiteurs s’est pressée pour admirer dans le Pavillon des Étudiants (actuel Pavillon Populaire) les jouets exposés et le splendide arbre de Noël. À 16h, le samedi, plus de 300 enfants ont pu assister à une charmante représentation, avant la distribution des jouets et des vêtements encadrés par les dames patronnesses… La soprano Georgette Leblanc, invitée dans le cadre de la programmation des concerts symphoniques à la salle Molière est venue prêter son concours à l’organisation d’un concert caritatif. On y annonce des pièces d’ombre pour une obole modique de 0 francs 50 centimes. Même le Grand Théâtre s’allie à la fête. Au cours de la représentation de l’opéra Sapho du samedi, une quête solidaire sera faite au bénéfice de l’Arbre de Noël. Les Montpelliérains peuvent entrer dans le siècle le cœur apaisé !