Oreillettes et vin blanc
De mémoire de Montpelliérain, il y avait longtemps que l’on n’avait vu pareille fête. Jusqu’alors, les fêtes du Carnaval n’étaient qu’une succession de bals et d’amusements populaires improvisés dans les quartiers, notamment au faubourg Boutonnet, poursuivis de poussées formidables le soir dans la Grand Rue. Chaque année, selon le pouvoir en place, un arrêté municipal se limitait à fixer quelques limites aux réjouissances et travestissements. Le tout se clôturait par de grandes tablées joyeuses, où l’on mangeait les oreillettes traditionnelles accompagnées de vin blanc.
Le bonhomme Carnaval, brûlé au dernier jour des fêtes
Il faut attendre 1897, et la mise en place du Comité des fêtes présidé par l’architecte Léopold Carlier (1839-1922), pour doter le Carnaval de Montpellier d’un véritable programme organisé. Retraite aux flambeaux, batailles de fleurs, fête des enfants, grand bal masqué, corso carnavalesque offrent aux Montpelliéraines et aux Montpelliérains quatre jours de liesse. Les recettes dégagées sont reversées au bureau de bienfaisance de la ville, aux Hospices et à diverses œuvres de charité. Et la même année voit apparaître le premier bonhomme Carnaval, figure géante arrimée sur un char – plus tard sur un tramway – promenée à travers la ville, puis brûlée en place publique au dernier jour des fêtes.
Pour les œuvres de charité
Interrompue par la guerre 14-18, Montpellier doit attendre 1920 pour voir la tradition renaître. Cette année-là, c’est à cheval sur un tonneau, que La Madelon, fait son entrée en ville remorquée par un tracteur automobile. Trois ans plus tard, les organisateurs ont imposé une véritable métamorphose. Finies les figures de carton-pâte. C’est une Reine de carnaval bien vivante, Adrienne Alauzet, jeune modiste de 20 ans, qui est choisie parmi douze concurrentes pour revêtir la couronne de la ville. Hissée sur un char de cinq mètres de haut, elle préside avec ses deux dauphines, aux festivités inaugurées dès le 6 janvier.
La grande cavalcade du Mardi-Gras
Pour accompagner le cortège, les formations musicales sont venues cette année-là de toutes les communes environnantes : l’Avenir musical de Saint Géniès-des-Mourgues offre un concert public sur la Comédie. Lui succède le Réveil pignannais très applaudi. Pour les lancers de fleurs, violettes et mimosas rivalisent avec les bouquets simples cueillis dans les prés ou les pépinières de Lattes. Le bal d’enfants et la grande Redoute** au théâtre municipal précèdent la Cavalcade du Mardi-Gras. Le 13 février, c’est par un temps splendide que la foule en liesse applaudit les 140 chars et voitures défilant du Plan Cabanes au faubourg Boutonnet.
Adieu pauvre Carnaval
Une semaine plus tard, dans ses bureaux de la rue Vanneau, le Comité des fêtes de charité clôture l’édition 1923. Le succès s’est révélé remarquable. On invite la Reine de Montpellier et ses demoiselles d’honneur à boire une coupe de champagne au Tea-Room de la rue de Verdun. C’en est bien fini du tumulte des trompettes, des cors et des tambours. Pierrots, arlequins, dominos regagnent leurs armoires. Comme autrefois, chacun souhaite prendre une chandelle et parcourir la ville en chantant « Adiou pauré, pauré Carnaval ». Il est bien mort le carnaval. Mais il reviendra l’année prochaine…
Notes :
*Modiste : personne spécialisée dans la confection de coiffures ou vêtements féminins
**Redoute : terme ancien. Dans le cadre du Carnaval, il évoque le grand bal costumé et masqué donné dans la grande salle du théâtre.