Depuis plusieurs semaines, le chariot Picopatt, conçu à Nantes, effectue des mesures dans les rues de Montpellier. Cette station climatique mobile est capable d’enregistrer à chaque seconde un grand nombre de données : température de l’air, humidité, force et direction du vent, rayonnement visible et rayonnement infrarouge, dans toutes les directions… « Nous sommes ainsi capables de détecter des pico-climats dans la ville, c’est-à-dire des variations localisées du climat à très petite échelle, celle de la perception individuelle. Les paramètres du climat évoluent en fonction de la configuration des bâtiments, de l’orientation des rues, de la présence ou non de végétaux, de fontaines, d’ombre… Nos mesures concernent des espaces publics pratiqués quotidiennement comme des places, des boulevards ou des rues, des parcs… », explique Daniel Siret, chercheur à l’École nationale supérieure d’architecture de Nantes (laboratoire AAU).
Trois parcours urbains étudiés à Montpellier
Trois parcours ont été identifiés à Montpellier (quatre à Nantes), avec l’appui des services de Montpellier Méditerranée Métropole : secteur Antigone-Polygone, secteur Écusson et les boulevards autour de l’Écusson. « Le chariot suscite énormément de curiosité et de questions à chacun de nos passages. C’est valorisant pour notre travail et cela en fait aussi un outil de médiation. Chaque parcours dure environ deux heures. On le fait quatre fois par jour (8h30, 11h30, 14h30, 17h30 en horaires d'hiver), tous les 10 jours environ, pendant une année entière. Cela va représenter un ensemble de mesures climatiques très détaillées et uniques », précise Ignacio Requena, maître de conférences à l’ENSA Nantes.
Un dispositif innovant
Les données récoltées vont être analysées avec l'aide de l'équipe ADVANCE - Advanced Analytics for Data Science du Laboratoire d’Informatique, de Robotique et de Microélectronique de Montpellier (LIRMM), qui est une unité mixte de recherche rattachée au CNRS et à l’Université de Montpellier. Cette équipe est spécialisée, entre autres, dans le traitement et l’analyse informatique des données en masse.
« C’est une collaboration fructueuse, la première pour notre équipe en rapport avec l’architecture et la ville. Nous avons énormément de données récoltées sur un temps long. Pour cela, nous construisons actuellement des outils pour visualiser et explorer ces données. Ces outils sont basés sur des méthodes de clustering non supervisé. Ils permettent de former des groupes de lieux ayant des similitudes, des exemples représentatifs de ces groupes et ensuite des comportements typiques et atypiques sur certaines périodes. Au terme des trois ans du projet, l’objectif est de corréler ces résultats avec d'autres informations récoltées dans le cadre du projet Picopatt, comme une description des caractéristiques de chaque espace et ou encore des informations extraites automatiquement des prises de vue (couleurs des sols et des murs, quantité de ciel vu…). À terme, ces éléments permettront de proposer des modèles de prédiction basés notamment sur des méthodes d’apprentissage explicables, permettant de mesurer l’impact de modifications apportées dans l’aménagement urbain », détaille Sandra Bringay, Professeure en informatique au sein de l’équipe du LIRMM. Le laboratoire a recruté un post-doctorant spécifiquement pour ce projet.
« Picopatt permet de mieux cerner les enjeux climatiques en ville et leurs impacts à l’échelle humaine. Notre projet s’étale sur trois ans : un an de relevés, un an d’analyse et un an pour élaborer des connaissances et des guides pour l’aménagement urbain, destinées aux pouvoirs publics et autres aménageurs », explique Daniel Siret, responsable du projet.
« On parle beaucoup de la température de l’air pour définir les îlots de chaleur ou de fraîcheur en ville. Cette donnée est évidemment très importante mais ce n’est pas un indicateur suffisant pour caractériser l’expérience du climat en ville. Avec nos capteurs, nous prenons aussi en compte l’humidité de l’air, la vitesse et la direction du vent, le rayonnement direct et diffus et le rayonnement infrarouge. Il faut comprendre que le ressenti thermique change avec l’humidité (NDLR : lourdeur, moiteur...) mais aussi en fonction du rayonnement direct, comme celui du soleil qui réchauffe votre peau, et du rayonnement infrarouge que l’on ne voit pas mais que l’on ressent. Par exemple, les sensations quand on s’approche d’un mur froid ou au contraire d’un radiateur, d’un sol chaud… Ainsi, des façades situées à l’ombre conservent et diffusent leur fraîcheur, sans beaucoup modifier la température de l’air.
"Apporter des connaissances et des conseils sur l'aménagement urbain"
Avec les mesures très précises et géolocalisées réalisées dans le cadre du projet Picopatt, nous sommes vraiment au niveau du ressenti des personnes. Notre projet permettra une meilleure compréhension de l’expérience thermique quotidienne en ville et des situations de stress thermique. L’objectif est d’ensuite apporter des connaissances et conseils sur les meilleures configurations en ce qui concerne l’aménagement urbain : matières utilisées, formes des bâtiments, forme et orientation des espaces ouverts, axe des rues, nature des sols, implantation de la végétation... »