C’est au cœur des salles Soulages, lieu emblématique des grands gestes de donation qui ont été faits au musée Fabre, que le photographe de renommée internationale Raymond Depardon s’est inscrit dans ce même mouvement lors de la signature de la convention de donation ce mardi 30 janvier.
Photographe majeur
Figurant parmi les photographes majeurs du XXIe siècle, créateur de l’agence Gamma et membre de Magnum photos, Raymond Depardon n’a cessé, en compagnie de son épouse Claudine Nougaret, de photographier et filmer le monde, ses mutations économiques et politiques. Une œuvre à hauteur d’homme d’une qualité profondément humaine et universelle, dont une partie trouvera désormais sa place dans les collections du musée Fabre.
Générosité historique
Les collections du musée Fabre rassemblaient jusqu’à date, peintures, arts graphiques, sculptures… mais pas de photographies. Quelques années avant la commémoration de son bicentenaire, le musée Fabre a désormais franchi le pas, comme l’avait fait le musée d’Orsay à partir de 1979, en constituant des fonds historiques pour retracer l’histoire de la photographie au XIXe siècle, depuis sa création en 1839 jusqu’à la photographie abstraite.
Accompagné par les élus à la Culture, Eric Penso à la Métropole et Agnès Robin à la Ville de Montpellier, ainsi que Boris Bellanger, délégué au Patrimoine, Michaël Delafosse, maire de Montpellier, s’est dit « extrêmement honoré et profondément reconnaissant de ce geste pour le musée Fabre et les collections publiques de la Métropole de Montpellier. Cette donation s’inscrit dans une histoire profonde de ce musée qui est un musée donateur. »
200 tirages font leur entrée au musée Fabre
Un moment historique, salué par Michel Hilaire, directeur du musée Fabre : « C’est un moment particulier qui concrétise des contacts qu’on a eus il y a déjà quelques années avec Raymond Depardon et Claudine son épouse, pour donner au musée Fabre pour la première fois des fonds de photographie » Avant de poursuivre : « Un fonds qui au total constitue plus de 200 tirages qui vont entrer dans les collections du musée. C’est un événement important, cela modifie un peu le projet scientifique et culturel du musée. Il n’y avait pas de photographie jusqu’à présent. Et ce sont des iconographies aussi qui peuvent dialoguer avec un certain type de collections qui sont déjà présentes au musée. Celui-ci est très riche pour le paysage et en particulier les différents paysages régionaux et ruraux et cela peut dialoguer avec le fonds "Communes" par exemple. Il y a des canaux possibles avec les collections du musée et bien sûr, des accrochages dans le futur, qui seront prévus pour valoriser cette collection. Un très grand merci pour ce geste. »
Attachement à Montpellier
Une donation vue comme « un signe des attaches qui vous lient à ce territoire. Ici ce sont vos amis proches, qui ont travaillé à cette architecture et au dialogue entre les œuvres de Pierre Soulages et la lumière. Cette lumière que vous aimez, de notre région », soulignait Michaël Delafosse. Faisant écho à l’actualité « Au moment où il y a l’expression de la souffrance du monde rural, par les manifestations d’agriculteurs, rappeler ce formidable documentaire sur les paysans, cette série absolument incroyable. » Avant de conclure : « La donation qui est faite ici est un acte de sincérité, comme souvent les artistes peuvent en témoigner. Ce n’est pas qu’un acte notarié, c’est un acte profond de votre part, de générosité, qui nous oblige. Parce que recevoir des œuvres dans notre collection publique, cela commande que nous puissions permettre de les faire dialoguer, de les faire vivre, de les montrer au public, de montrer leur sensibilité."
Carte blanche au Pavillon populaire
Raymond Depardon aura ainsi une carte blanche au Pavillon populaire. Il choisira de présenter tout ou partie de son travail, peut-être de dialoguer avec des photographes, avec des artistes. Au-delà de cette donation d’autres rendez-vous sont prévus. Pour rappel, Montpellier avait déjà accueilli, au Pavillon populaire en 2022, l’exposition Communes, qui avait rencontré un franc succès.
Claudine Nougaret, productrice de cinéma et native de Montpellier, qui a œuvré aux côtés de son époux Raymond Depardon confiait à cette occasion : « On s’est déjà mariés ici, on a l’impression de se remarier. On s’est mariés en 1987 à la mairie de Montpellier, à l’époque c’était à Grammont, mais aujourd’hui j’ai un peu l’impression que l’on re-signe quelque chose avec la mairie, avec la région. Je suis très fière d’être arrivée à faire accepter cette œuvre et qu’elle reste dans le temps. Ici, les Montpelliérains, je sais qu’ils vont la garder et qu’ils vont l’apprécier et que dans 40 ans on pourra encore la regarder. Et c’est une grande chance pour nous. »
"Tant que je pourrai vivre, marcher, me déplacer, je ferai des photos"
« Mon parcours est un peu singulier. Je suis né dans une ferme et je suis monté à Paris très jeune, je suis arrivé en 1960. J’ai vécu toute la décolonisation qui a suivi et l’arrivée de la gauche, l’arrivée de tous les grands mouvements, les voyages… À Paris, les photographes d’agence ne sont pas dans l’air du temps pour l’instant, mais ce n’est pas grave. Il faut aller à New York pour voir des confrères qui sont exposés au musée d’Art moderne, en Allemagne, en Italie, à Shanghai. Je viens de la province et j’ai l’habitude de ma bagarrer avec les Parisiens. Cela m’a donné une force : du coup, je me suis tourné un peu vers les Américains. C’est eux qui m’ont aidé à faire ce que j’ai fait, par exemple sur le monde rural. C’est Roosevelt. Il a été le premier président à lancer la première mission photo, pour photographier les gens qui ne vont pas bien, qui sont pauvres. Les Américains ont été les premiers à utiliser le meilleur matériel au monde. J’ai fait venir des États-Unis certaines choses pour pouvoir photographier un vieux garçon des Cévennes. Comme les photographes de mode. Il fallait bien les photographier. Pas de grain. La meilleure couleur. Et y passer du temps. On y a passé plus de 10 ans avec Claudine et je suis très content de donner ces photos ici. Tant que je pourrai vivre, marcher, me déplacer, je ferai des photos. Ici à Montpellier et dans les environs, c’est une merveille, un cadeau. Merci beaucoup de m’accueillir » concluait Raymond Depardon.
Une donation d’envergure
Trois grands ensembles emblématiques de l’œuvre de Raymond Depardon ont notamment fait l’objet d'une donation au musée Fabre, représentant plus de 200 tirages, d’une valeur estimée à 543 000 euros.
- Rural, série signée qui comprend 86 tirages positifs, de format identique moyen. Les prises de vues ont été réalisées au cours des années 1981 et 2000. Raymond Depardon sillonne alors la France paysanne avec sa chambre photographique 6 x 9 et explore le monde rural. Ces clichés racontent la terre, les hommes, le travail manuel, l’isolement et la fragilité des petites exploitations agricoles mais aussi la beauté des paysages français.
- Son œil dans ma main, rassemble trois séries photographiques réalisées en des temps et lieux différents. Un témoignage exceptionnel qui vient illustrer dans une évidence salutaire et bienveillante la complexité de l’histoire de l’Algérie et de la France. Un ensemble unique de 85 tirages de format moyen, avec :
- deux premiers reportages réalisés en 1960 à Evian, lors des négociations préalables aux accords qui précèdent l’indépendance de l’Algérie ; et en 1961, à Alger. Raymond Depardon est alors jeune photographe et photographie à la dérobée dans des moments de tension politique forts;
- un troisième réalisé en 2019, à Alger et Oran, dans le cadre de sa rencontre avec Kamel Daoud, en conservant son « noir et blanc » de prédilection.
- Communes, comprend 32 tirages de grand format en noir et blanc. Il s’agit de l’une des dernières séries réalisées par le photographe, au cours de l’été 2020, après le premier confinement. Des images, réalisées à la chambre photographique, prises dans les départements de l’Aveyron, de la Lozère, du Gard et de l’Hérault, et notamment dans les alentours immédiats de Montpellier.