Aucun original de cette ordonnance, validé par le grand sceau royal de cire verte, n’a été conservé. La chancellerie de François Ier semble avoir eu un peu de mal à suivre les déplacements incessants du roi et le rythme effréné avec lequel il produit son lot d’actes officiels. Lorsqu’il arrive à Montpellier, le 21 décembre 1537, il y a déjà trois mois qu’il a quitté Fontainebleau, entraînant à sa suite tout un monde de cour, de secrétaires, parcourant les routes dans des installations de fortune.
François Ier a 43 ans. Il n’est plus le géant magnifique dont la ville a célébré le sacre en 1515 après la victoire de Marignan. La défaite du roi, dix ans plus tard à Pavie, son emprisonnement, l’annonce de la mort du chevalier Bayard, ont fait planer sur la ville un morne silence de plusieurs jours. Mais c’est avec plaisir que s’échappant du triste hiver 1537, il s’élance vers les routes du sud. Et vers cette ville de Montpellier chère à son cœur, qui lui a pourtant ravi l’un de ses conseillers préférés : Artus Gouffier de Boissy qui avait été son gouverneur et qui y mourut subitement au cours de négociations menées avec les émissaires de Charles d’Espagne, le célèbre Charles Quint.
Extrait du Petit Thalamus portant mention en 1537 du parlement des ambassadeur du roi François Ier et de l'Empereur Charles Quint, "pour le traité d'accord entre les deux princes" et de leur passage par Montpellier
Un mois à Montpellier
Il y a trois ans à peine, au mois d’avril, au cours d’un précédent voyage en Languedoc, il a tant pris de plaisir à l’accueil des Montpelliérains, qu’il a décidé de prolonger son séjour. Insistant pour visiter l’île de Maguelone et la trouvant tout à fait à son goût. En 1537, à peine revenu d’Italie, il rejoint la ville pour y surveiller les pourparlers entamés à Leucate avec les émissaires de Charles Quint. Arrivé le jour de la Saint-Thomas, il décide cette fois d’y séjourner presque un mois. Et parmi les 140 actes dont il bombarde son administration durant son étape montpelliéraine, l’histoire retiendra cette ordonnance du 28 décembre, dont la seule copie est insérée dans les registres du Châtelet le 7 mars 1538.
La charte de fondation du dépôt légal – entrée dans l’histoire sous le nom de « l’ordonnance de Montpellier » - assigne deux buts à la nouvelle institution. Le premier, au caractère culturel avoué, étant de rassembler et préserver « toutes les œuvres dignes d’être vues », afin que le patrimoine littéraire puisse survivre « à la mémoire des hommes ». Le second, un peu moins noble, étant la surveillance de l’édition et de l’imprimerie, exigeant des libraires qu’ils communiquent préalablement à leur mise en vente, tout ouvrage imprimé « pour savoir s’il sera tolérable d’être vu ». Autrement dit de la part du pouvoir, la possibilité de contrôler et censurer la diffusion de toute idéologie dissidente.
En juillet 1538, sept mois après le séjour du roi à Montpellier, François Ier rencontre son rival de toujours, l'Empereur Charles Quint, à Aigues-Mortes. Malgré le succès de l'entrevue et la liesse générale, la lutte sanglante entre les deux princes (qui étaient cousins) ne s'éteindra qu'à la mort du roi, en 1547.
Une charte pour conserver et pour contrôler
Une mesure qui s’explique par le contexte de représailles faisant suite à la célèbre Affaire des Placards, provoquée par la publication de textes anticatholiques dans plusieurs lieux publics et jusqu’à la porte de la chambre royale du château d’Amboise. Et qui ouvrait la période d’hostilité entre protestants et catholiques, menant vingt-cinq ans plus tard aux guerres de religion.
Cette fonction de « police », abolie par la Révolution, rétablie par l’Empire, va se perpétuer au cours des siècles, distinguant les activités d’édition et de presse, et amendée par plusieurs lois dont celle du 21 juin 1943 encore en vigueur aujourd’hui, qui fait obligation aux éditeurs de déposer quatre exemplaires à la Bibliothèque nationale, un au Ministère de l’intérieur. Le dépôt d’imprimeur, restant lui dépendant des services de la seule Bibliothèque nationale établis dans les bibliothèques régionales. Revenu à sa fonction originelle, le dépôt légal assume aujourd’hui pleinement sa fonction culturelle. Permettant grâce à la conservation des collections, d’assurer pour la postérité la production littéraire du pays.
En juillet 1538, François Ier revient en Languedoc pour une nouvelle rencontre avec Charles Quint. L’Empereur le reçoit à bord de sa galère, dans le port d’Aigues-Mortes. Mais il faudra attendre encore quatre ans, au cours d’un nouveau mouvement de troupes, pour que le roi retrouve à nouveau sa bonne ville de Montpellier.
Hélas cette fois, ce n’est pas une ordonnance qu’il y laissa. Mais une épidémie de peste portée par les armées du siège de Perpignan, qui s’enflamma de telle manière qu’il fallut fuir et abandonner la ville pour deux années entières.