« Le bon arbre, au bon endroit »

21-01-24 - 10:00
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À l’heure des changements climatiques, l’arbre est devenu un enjeu vital. Montpellier, ville plus arborée que la moyenne nationale, porte depuis 2021 sa stratégie Montpellier ville nature, pour répondre aux enjeux d’aujourd’hui et de demain, et transmettre un patrimoine aux générations futures. En Commun est allé à la rencontre de Caroline Mollie, personnalité de référence dans le domaine du paysage et de l'urbanisme végétal, pour parler des arbres en ville, de la ville de demain, de son dernier ouvrage, de Montpellier… Interview.
portrait Mme Mollie
©Otto Fabricius
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Architecte-paysagiste, spécialiste de l’urbanisme végétal et membre d’honneur de la fédération française du Paysage dont elle a été présidente pendant dix ans, Caroline Mollie a également été en charge durant une décennie également, d'un programme de protection et de valorisation des arbres dans la ville, au ministère de l'Environnement. À l’origine de différentes publications et interventions sur le rôle des arbres dans le contexte des changements climatiques et la meilleure manière de les planter, elle est l’auteure de l’ouvrage Des arbres dans la ville, L'urbanisme végétal, qui fait référence auprès des professionnels de l’aménagement en France et à l’étranger (Actes Sud, 2009), et vient de publier À l’ombre des arbres, Planter la ville pour demain (Delachaux et niestlé, 2023).

une du livre
Caroline Mollie
Architecte-paysagiste, spécialiste de l’urbanisme végétal

En Commun : À l’heure des changements climatiques, l’arbre est devenu un enjeu vital et politique. C’est le fil conducteur de votre dernier ouvrage, qui permet de mieux comprendre le rôle et les exigences  des arbres dans la ville. Il faut planter la ville, mais pas n'importe comment. Quelles sont vos préconisations pour la ville de demain ? 

Caroline Mollie : En cette période d’inquiétude des citadins sur les évolutions du climat, différentes études, dont celle de l’ADEME, confirment que le meilleur moyen de rafraîchir la ville est de procurer de l’ombre. C’est l’ombre la plus importante. C’est pourquoi c’est le titre de mon livre. Je pars de l’ombre pour décliner comment avoir le plus d’ombre dans la ville et ce qu’il faut faire pour arriver à cela et ce qu’il ne faut pas faire. Il faut planter la ville. 

Un premier volet est de valoriser l’existant. Et pour ce faire, il faut arrêter les élagages, qui sont néfastes à la santé de l’arbre et donc à la création de l’ombre. A quoi sert-il de planter la ville si c’est pour élaguer ensuite ? C’est complétement paradoxal. L'élagage, c'est l’un de mes chevaux de bataille. Il y a des habitudes, des idées reçues sur l'élagage qui font dire à mes interlocuteurs que cela fait du bien aux arbres et que c'est bon pour la sécurité. Il faut clamer haut et fort que ça ne leur fait pas du bien. Parce que, à chaque fois, cela demande à l’arbre un effort pour repousser et ça épuise ses réserves. Cela n'est pas favorable à la sécurité parce que, au contraire, l’élagage les rend plus fragiles et les nouvelles branches tombent plus facilement ou le système racinaire se développe moins.

Donc l'idée, c'est d'entretenir et de valoriser déjà ce que l'on a. Donc arrêter de couper, bien soigner, faire un inventaire précis de la santé des arbres d'un patrimoine. Et puis planifier dans le temps les visites de sécurité, les actions aussi de sécurité ou de santé, ça me semble important. 

Cela concerne les particuliers également. Les statistiques des villes estiment que le patrimoine arboricole de l'espace public, donc sous le contrôle des municipalités ne dépasse pas les 30 %. Laissant donc 70%, soit deux tiers de l’espace arboré, sous le contrôle des privés, particuliers, promoteurs etc. Et si on veut rafraîchir une ville, si on veut planter des arbres, il faut aussi penser à ce que font les particuliers, les ensembles immobiliers. Il y aurait une très forte action à faire en matière de sensibilisation et de formation des promoteurs, par exemple des syndics d'immeuble, des particuliers, des privés qui ont des jardins, où on coupe assez facilement. On est quand même assez massacreurs chez nous en France, il faut le dire, et je pense que c'est vraiment faute de compétences et de connaissances, et par peur que cela tombe. On a perdu le bon sens du jardinier. 

Dans une politique de plantation des arbres, il faut penser, pas uniquement à ce qu'on va faire ou à ce qu'on va planter, mais déjà à ce qui est planté : ce qui est bien fait, ce qui est mal fait, comment il faut réintroduire de la sagesse, du bon sens, du savoir-faire. Et faire connaître au maximum de gens qu'est-ce que c'est qu'un arbre, ses racines… Et comment on peut les aimer.

En Commun : Et le second volet ? 

Caroline Mollie : Le second volet, équivalent, c'est bien renouveler le patrimoine. Cela veut dire travailler sur l'ensemble de la ville, voir les endroits où il est important de planter pour les populations d'une part et d'autre part de voir les endroits où il est possible de planter, où les arbres pourront trouver ce que j'appelle mon tiercé gagnant : de l'air pour qu'ils développent leur couronne, de la terre pour qu'ils développent leurs racines et du temps pour qu'elles puissent pousser. Une croissance d'arbre prend 10 à 15 ans pour être bien installé et commencer à avoir de belles couronnes. Ce sont ces belles couronnes qui donneront le plus d’ombre et qui dégageront le plus d'oxygène. Il y a presque un nouveau paradigme à développer par rapport à l'arbre dans la ville, c'est prenons notre temps, mais hâtons-nous lentement. 

Je trouve très intéressante la règle des 3, 30 et 300. Soit trois arbres que l'on peut voir depuis son appartement ou sa maison, parce que les gens ont besoin de voir des arbres dans leur environnement immédiat. Vivre dans un quartier arboré à 30 %. Et avoir à moins de 300 mètres de son chez soi un jardin, un parc, un square ou quelque chose.

Un autre mantra intéressant qu'on peut se répéter c'est : le bon arbre au bon endroit. 

En Commun : Vous parlez de fausses bonnes idées en matière d’arbres ? 

Caroline Mollie : Les forêts urbaines sont une fausse bonne idée. Il faut créer des lieux ombragés, des squares, des allées plantées, des petits jardins, des parcs pour sortir avec les enfants, pour sortir avec leur journal, pour passer un moment… à l’ombre des arbres.  

La transplantation de gros sujets est également une fausse bonne idée. Tous les professionnels de l’arbre l’affirment et ils ont raison : un arbre aura la plus grande espérance de vie et aura la plus grande chance de se développer selon son espèce, s'il est planté jeune, dans de la terre avec du temps. Il va s'installer dans le terrain, ses racines vont pousser et ensuite il va s'ancrer. La mode en ce moment, c'est de faire des transplantations de gros sujet. Et dans le pire des cas, on va couper des grands arbres, on leur coupe les racines, on leur coupe la tête et on les déplace en camion pour les mettre dans un endroit qui n'est pas celui de leur origine, avec des racines et une couronne mutilées. S’ils reprennent on aura de la chance et même s'ils reprennent, ils ne reprendront pas avec l'énergie et la vigueur d'un jeune plant. Ils vont végéter pendant très longtemps. Et ce que l'on a remarqué, c'est qu’une plantation, bien plantée et plantée jeune, au bout de cinq à dix ans, peut avoir exactement le même volume qu'une transplantation de vieux sujet, qui lui ne va pratiquement pas pousser. Et les statistiques de survie des plantations de gros sujets ne sont pas bonnes, soit à 20 %, 30 %. 

En Commun : Dans votre dernier ouvrage, À l’ombre des arbres, Planter la ville pour demain, vous prenez Montpellier en exemple à différentes reprises. Soit :

  • la place Jean-Jaurès, comme exemple de belle place ombragée (p.42).

  • l'ancien restaurant L'insensé près du musée Fabre, comme exemple de mur végétal basé sur des plantes grimpantes (p. 98).

  • la rue Roucher, comme exemple de végétalisation participative des rues (p. 154). 

  • le cours du Millénaire comme exemple des problèmes posés par des plantations trop denses (p. 76).

Pourriez-vous nous en dire plus ?

Caroline Mollie :

Alors, parmi les exemples il y a la place Jean-Jaurès. C'est un endroit délicieux, très agréable, bien planté, où lors des journées chaudes, on a envie de rester sous les arbres pour déjeuner, dîner. Ça a été bien fait. Ce sont des mélias qui ont été plantés, des arbres à croissance assez rapide. Je crois que la place a été faite il y a une trentaine d'années, les arbres se sont installés. C'est très agréable. 

Je pense aussi à la place Notre-Dame, là où vous avez le beau micocoulier au milieu, qui maintenant prend toute la place. C’est l’intérêt de l’espace et du temps. Il faut savoir voir dans le temps. 

J'ai aussi pris comme exemple de mur végétal l'ancien restaurant L'insensé, comme exemple de mur végétal. Je suis exaspérée par les murs végétaux avec des plantes en suspension et tout un système sophistiqué, très cher d'entretien. Je dis toujours qu’il faut revenir au bon sens, car il existe toute une famille, les plantes grimpantes, qui ne demandent pas mieux que de grimper et qui peuvent grimper très haut. Donc arrêtons de faire toutes ces constructions élaborées, qui coûtent cher et plantons des plantes grimpantes, comme près du musée Fabre. Il est très beau ce mur et en plus de ça, il sent bon, c’est du jasmin. 

Il y avait aussi la rue Roucher. Les riverains y sont contents. La Ville a pris en charge la création de micro-espaces à planter et en plus a fourni les plantes. Des initiatives comme ça, c'est parfait.

Maintenant, l’un des problèmes, c'est le surnombre. Et on a un très bon exemple à Montpellier de surdensité : c'est la place du Nombre d'or à Antigone, où en fait, l'architecte Ricardo Bofill a voulu planter très dense. 30 ans après, il y a trop d'arbres, ils sont trop serrés donc ils ne peuvent pas se développer normalement. Ce qu'il faudrait faire, dans une gestion raisonnable et raisonnée, c'est presque abattre un platane sur deux, pour laisser au restant la possibilité de bien se développer. C'est ce qu'on fait dans les forêts. Il est vrai que quand on parle d'abattre des arbres à l'heure actuelle, cela provoque d’importants soulèvements de population. Cela les touche dans leur intimité. C'est là où je reviens à cette idée vraiment très importante de réintroduire de la connaissance sur ce sujet auprès du grand public. Ils comprendraient que c’est normal, que c’est de la bonne gestion. 

Cela touche de près. C’est pour cela, également, que je les appelle les arbres de compagnie, parce qu’on en a besoin, on les aime. Ils sont là, ils font partie de notre vie quotidienne. Ils sont vivants. 

En Commun : Votre actualité vous amène bientôt de passage à Montpellier ?

Caroline Mollie : Oui. J'ai le plaisir d'être invitée à Montpellier par l'association "Non au béton" pour parler de mon sujet favori : les arbres dans la ville. Comment protéger le patrimoine existant, comment bien planter pour l'avenir seront thèmes abordés. Ce sera lundi 29 janvier prochain, à partir de 18h30, salle du Dévézou, à Montferrier-sur-Lez.

En Commun : Le mot de la fin ? 

 Caroline Mollie : C'est vraiment l’une de mes priorités : c'est la desimperméabilisation des sols. Si on veut des beaux arbres, il faut que les sols gardent l'humidité. 

Montpellier ville nature

Plantations et végétalisations, création des îlots de fraîcheur, désimperméabilisation des sols… à Montpellier, le bitume rend sa place à la nature et c’est une volonté que porte la Ville.

Montpellier, ville plus arborée que la moyenne nationale, porte depuis 2021 sa stratégie Montpellier ville nature pour :
- PROTÉGER le patrimoine arboré existant de la ville en créant le comité de l’arbre pour vérifier l’opportunité de chaque abattage du domaine public et en développant la charte de l’arbre pour mieux respecter le patrimoine existant ;
- VALORISER la nature en ville en impliquant la population dans les opérations de plantation et en sensibilisant les citoyens ;
- DÉVELOPPER le patrimoine arboré de la ville en augmentant la canopée urbaine, en renforçant les grands parcours verts, ainsi que l’objectif de plantation de 50 000 arbres pour embellir la Ville et la reconnecter à la nature.

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