Alter Comics, une maison d’édition montpelliéraine engagée qui dépote !

Dessinateur de BD, Montpelliérain depuis quarante ans, co-fondateur de 6 Pieds Sous Terre en 1991, puis fondateur de la maison d’édition montpelliéraine Alter Comics… Racontez-nous votre parcours.

Jean-Christophe Lopez : Je suis dessinateur depuis très longtemps. J’ai toujours été attiré par la bande dessinée, car j’adore raconter des histoires. J’avais été pris à l’École européenne supérieure de l’image, à Angoulême, mais pour des raisons financières je n’y suis pas allé. J’ai continué mon chemin en solitaire jusqu’aux années 2000, où une toute nouvelle génération d’auteurs décide que la BD n’a pas vocation à être dédiée uniquement à la jeunesse, ce qui était essentiellement le cas à l’époque. On voulait faire de la bande dessinée adulte, on voulait dire quelque chose. Va émerger alors ce qu'on appelle la bande dessinée indépendante, avec des maisons d'édition comme 6 Pieds Sous Terre, les Requins Marteaux... Avec notre collectif, nous créons un fanzine : Jade. C'est le début de 6 Pieds Sous Terre. Il y a eu 27 numéros au kiosque. Cela a été une vraie aventure humaine. Avec plus de 80 dessinateurs découverts, des gens très connus maintenant. Puis, cela s'est arrêté et 6 Pieds Sous Terre est passé à l'édition de romans graphiques. Cela fait plus de 30 ans. J'ai passé la main aux jeunes, qui continuent avec la même lignée éditoriale.

C’est alors le début d’Alter Comics, pour faire vivre la BD autrement ? 

Oui, en 2011, j'ai monté la maison d'édition Alter Comics, qui au début était vouée à faire de la bande dessinée papier et numérique. Ce qui était aussi très alternatif, très innovant. Mais malheureusement, un peu en avance par rapport au marché naissant. Nous avons fait quelques ouvrages et ensuite, cela s'est mis en sommeil. J'ai travaillé pendant plus de dix ans dans l'édition numérique. Pour essayer d'amener la culture et le savoir aux gens qui avaient le plus de difficultés à y avoir accès. J'ai voulu revenir à mes premières amours : l'édition papier. 

J'ai relancé Alter Comics, avec plusieurs collections : de la bande dessinée pédagogique et historique, avec des spécificités comme les fumetti, bandes dessinées italiennes qui cartonnent dans leur pays, sur lesquelles nous misons sur le marché français ; Un Monde Nouveau (lancée en avril 2024), collection de sciences humaines, où des spécialistes proposent des solutions aux crises contemporaines : politique, économique, environnemental… Et une partie polar et thriller avec la collection Moby Dick (lancée en juin 2024). Ce sont trois collections tournées vers notre monde.

Avec notamment le retour de la série policière du Poulpe...  

J’ai eu l’opportunité de pouvoir rééditer chez Alter Comics la série emblématique du Poulpe, que j’avais historiquement adaptée en BD chez 6 Pieds Sous Terre. Nous en avons créé une nouvelle également, avec un personnage féminin, plus contemporain et en rapport avec les problématiques d’aujourd’hui. Série que nous avons déjà démarrée cet été, qui a trois tomes à son actif. 

À partir de ce mois de janvier nous allons accélérer, avec la diffusion de deux tomes par mois. Pour que les gens s’habituent à retrouver en librairie la dernière parution de la Fille du Poulpe et à l’originalité de cette série, qui reprend la recette du Poulpe originel. 

Chaque épisode est écrit par un écrivain différent. À date, nous avons plus de 20 auteurs et autrices qui ont signé, essentiellement français, et un belge. Les auteurs nous font confiance. Nous commençons à regarder du côté du Québec. Nous avons aussi contacté une autrice du Venezuela, qui a déjà publié du polar et qu’on aime beaucoup. 

Nous sommes distribués par Média Participations, leader dans la bande dessinée, les livres illustrés et les contenus éducatifs. Nos parutions sont accessibles dans toutes les librairies en France, Suisse, Belgique et Canada, et disponibles sur toutes les plateformes en ligne.

Gabriella, fille adoptive du détective Gabriel Lecouvreur, alias le Poulpe, est une héroïne contemporaine et courageuse. Pourquoi avoir voulu un personnage féminin ? 

Le Poulpe était très masculin et très peu de femmes écrivaient à l'époque du polar. Aujourd’hui, c’est différent. Beaucoup d’autrices de polar émergent et sont de très belle facture. L’idée du personnage féminin était liée aussi au fait qu’on n’a pas beaucoup de personnages féminins qui ont émergé dans le polar. San Antonio, Arsène Lupin... Ce sont toujours des hommes.

On voulait également qu’il y ait autant d’hommes que de femmes qui écrivent ces romans. Les femmes ayant une sensibilité différente. 

On ne voulait pas tuer le Poulpe, qui a 64 ans. Nous avons donc créé un tandem : sa fille et lui mènent l’enquête ensemble. L’esprit de cette transmission nous a beaucoup plu. Les auteurs se sont accaparés les personnages et cela marche bien. 

Comment transmettez-vous votre passion de la BD à un large public ?

J’interviens lors d’ateliers, avec une mallette pédagogique que j’ai initiée en 2008, labellisée par le ministère de la Culture pour son intérêt à l'apprentissage. Tout terrain, elle fonctionne auprès de tous et s'adresse aussi spécifiquement à des publics empêchés de liberté : en prison, en maison de retraite, des enfants malades à l’hôpital... J’ai travaillé trois ans avec le Département de l’Hérault, dans le cadre de Culture en prison. À Montpellier, j'interviens à l’hôpital depuis 2009. Nous faisons chaque année un livre (Papier bulle) pour les enfants malades qui ont participé toute l’année à l’atelier. C’est une expérience à part entière, à la fois magnifique et très dure. On y va d’abord pour les enfants. Je travaille également avec des personnes réfugiées, ou dans des foyers d’hébergement.

Pour pouvoir réussir une BD, il faut travailler étape par étape. Suivant les publics on va avoir des réactions différentes. Par exemple, c’est surprenant, les enfants ne font jamais de pauses et sont hyper concentrés jusqu’à la fin de leur atelier. Les gens ne savent pas qu'ils savent dessiner, alors que c'est inné, comme marcher ou parler. Et en fin de compte, c'est quand on les accompagne, ce que j’appelle un transfert d'énergie, qu'ils se rendent compte qu'ils ont fait quelque chose d’incroyable, alors qu’ils n’avaient pour certains jamais dessiné de leur vie.