Vous êtes le père de Prince of Persia...
Jordan Mechner : Je ne suis plus le père, mais le grand-père de Prince of Persia ! Cette saga renaît avec un nouveau jeu intitulé Prince of Persia - The lost crown (La couronne perdue), treize ans après la dernière sortie en 2010, quand je travaillais avec Ubisoft Montréal. Il est développé à Montpellier par une jeune équipe d’Ubisoft avec qui j’avais travaillé sur d’autres projets.
Comment expliquer le succès de Prince of Persia, aujourd’hui encore ?
C’est une version moderne des Mille et Une Nuits, des contes qui ont connu un succès populaire depuis mille ans. Aujourd’hui des films, des livres, des BD... J’ai eu la chance en 1989 d’être le premier à l’adapter en jeu vidéo (développé par Brøderbund) pour le micro-ordinateur 8 bits Apple II. Une idée que j’ai eue à 25 ans. Je venais de terminer l’université et de sortir Karateka, un jeu vidéo genre Bruce Lee dans le japon médiéval. Prince of Persia, c’est la combinaison entre l’ambiance fantastique des Mille et Une Nuits avec des princesses, des héros de cape et d’épée et les scènes d’action à la Indiana Jones – les aventuriers de l’arche perdue. Une fusion magique interactive qui continue à fonctionner même si la technologie a beaucoup évolué depuis mon premier jeu des années 80...
Après New-York et Los Angeles… Comment êtes-vous arrivé à Montpellier ?
Il y a trente ans, j’ai découvert Montpellier grâce à mes amis créateurs de jeux vidéo comme Michel Ancel d’Ubisoft (Rayman, Les Lapins crétins). Nous avons pris l’habitude de passer des vacances ensemble tous les deux ans avec nos familles sur la plage de Carnon. Quand en 2017 j’ai eu l’opportunité de m’installer ici pour mon travail, j’ai saisi cette chance. C’était un miracle pour moi ! Il y a à Montpellier une effervescence dans le milieu des jeux vidéo avec des multiples studios indépendants, des écoles… Mais aussi dans le monde de la BD, c’est d’ailleurs davantage pour lui que je suis resté. Je partage aujourd’hui un atelier en ville avec neuf dessinateurs.
« Je partage un atelier en ville avec neuf dessinateurs »
« Mon plus grand luxe est de ne pas avoir de voiture »
Qu’est-ce qui vous plait à Montpellier ?
La ville, la vie. Le calme des Beaux-Arts où je vis, son marché, les petites boutiques de l’Écusson… Mon plus grand luxe est de ne pas avoir de voiture. À Los Angeles, nous passions notre vie sur la route, nous avions chacun notre propre véhicule... Ici je me déplace à vélo, à pied et en tram… De plus en plus facilement, et gratuitement. Je voyage beaucoup pour mon travail. La gare Saint-Roch en centre-ville est un point de départ pour visiter l’Europe, monter à Paris… Et quand j’ai besoin d’une voiture, j’ai un abonnement Modul’Auto. Je me sens bien ici. Peut-être parce mon père est né en Autriche, je suis un peu européen. J’ai un pied sur les deux continents.
Lewis Trondheim a édité Replay, votre première bande-dessinée en tant que dessinateur. Comment l’avez-vous rencontré ?
À San Diego, il y a quinze ans, quand je sortais ma première BD aux États-Unis, Templiers. Nous avions le même éditeur américain, comme Joann Sfar d’ailleurs. Nous sommes devenus amis. Quand je me suis installé à Montpellier il y a sept ans, j’ai repris contact avec lui, il a accepté d’être l’éditeur de Replay : Mémoires d’une famille, mon récit biographique et autobiographique sur trois générations. C’est lui également qui m’a présenté Olivier Vatine, dessinateur d’Aquablue, avec qui je travaille à Montpellier, Olivier Stejnfater, de ComixBuro à Montpellier qui édite ma nouvelle trilogie en BD Monte-Cristo dessinée par Mario Alberti et Étienne Le Roux, dessinateur de ma dernière BD Liberté - Les Insurgés, première d’une trilogie. Le deuxième tome Les Trafiquants sortira au printemps. Suivront Les Ambassadeurs pour terminer cette série. L'histoire d'une opération clandestine franco-américaine à l'origine de l'indépendance des États-Unis menée en partie par Pierre Caron de Beaumarchais, ambitieux dramaturge français.
« Le moment où ça bascule, d’un jour à l’autre, où l’on devient des déracinés »
L’histoire, et les guerres en particulier, sont très présentes dans vos BD ?
J’ai une passion pour l’histoire, je regrette de ne pas avoir pris plus au sérieux mes cours d’histoire russe et allemande. Aujourd’hui, je me rattrape en lisant des livres d‘histoire dans mon temps libre. Je suis aussi fasciné par l’impact de la guerre sur les gens. J’aime raconter l’expérience d’une population qui se trouve en guerre, celle des gens qui sont obligés de quitter leur pays pour sauver leur vie comme mon grand-père autrichien, menacé par le nazisme. Le moment où ça bascule, d’un jour à l’autre, où l’on devient des déracinés. Comme en Ukraine par exemple aujourd’hui. Les histoires que je raconte dans mes BD se répètent… Cette thématique est présente dans Replay, dans Liberté, dans Monte-Cristo, mais aussi dans mes jeux vidéo Prince of Persia, Last Express…
« Je raconte des histoires, je crée des univers, des expériences pour le public »
Vous avez trois métiers : créateur de jeux vidéo, scénariste de films et auteur - dessinateur de BD. Quels sont leurs points communs ?
Je raconte des histoires, mais avec des techniques différentes. Dans les jeux vidéo, il faut penser à l’expérience du joueur, ce qu’il va faire la manette à la main, c’est une histoire à vivre. C’est interactif. Au cinéma, le public regarde et écoute, mais le film avance à la même vitesse pour tout le monde. C’est immersif. On contrôle le choix des plans, de la musique, des sons, les visuels…
La BD me fascine depuis tout petit. Je dessinais des personnages de Disney avant l’arrivée de Space invaders, qui m’a fait me tourner vers le monde des jeux vidéo à l’âge de douze ans. Dans la BD, c’est le lecteur qui contrôle le rythme. Certains lisent très vite, d’autres prennent leur temps, choisissent les cases, selon leurs tailles, les rapports entre elles… Dans ces trois métiers, je crée des univers, des expériences pour le public, qui vont les rendre curieux et les intéresser.
« Mettre tout son cœur, mener à terme son projet »
Un conseil pour les jeunes créateurs de jeux vidéo ?
On apprend avant tout en faisant. Mais aussi en échangeant avec ceux qui font le même métier, plus qu’en écoutant les profs ou en lisant des manuels. Je n’ai pas fait d’école, cela n’existait pas quand j’ai sorti mon premier jeu, Karateka en 1984. Depuis le lycée, j’essayais de créer un jeu et je n’arrivais pas à être édité. Cela a mis sept ans… Quand on a une idée, il faut créer, croire que ça va réussir, mettre tout son cœur, mener à terme son projet et ça finit par payer. Pour le moment, je consacre 110 % de mon temps à mes projets de BD. Mais après, je ferai sûrement de nouveaux des jeux vidéo, des scénarios de film ou bien de séries telé...
Plus d'infos :
Liberté Tome 1 Les Insurgés – Textes de Jordan Mechner - Illustrations d'Etienne Le Roux et de Loic Chevallier. Éditions Delcourt.
Replay, Mémoires d’une famille – Textes et illustrations Jordan Mechner – 320 pages - Éditions Delcourt.