Profitant d’un voyage vers Bordeaux où les affaires de l’État le réclamaient, Son Excellence l’Archichancelier de l’Empire avait décidé de séjourner quelques semaines à Montpellier. Cela faisait 15 ans qu’il n’avait pas remis les pieds au Clapas. En ce mois de novembre 1807, Jean Jacques Régis revient dans sa ville natale, qu'il avait quittée, député de la jeune République.
Utile à l'Empereur
Sur les routes poussiéreuses qui le rapprochent, Cambacérès peut apprécier le chemin parcouru depuis son départ. Parvenu à sauvegarder sa tête durant la Terreur, il fut un homme clé du Directoire. Ministre de la justice, il assiste sans y participer, à la prise de pouvoir de Bonaparte en 1799. Le général corse fait appel à celui qui est réputé pour être le meilleur juriste du moment. Il a besoin que l'homme de droit lui élabore une constitution légale pour couvrir le coup d’État. Cambacérès y parvient avec maestria, gagnant l'estime de Bonaparte. « Cambacérès a la confiance de tout le monde », dit-il de lui. « C’est un homme d’affaires consommé, vieilli dans nos orages, plein d’expérience et de modération. »
Il unifie le droit français
Cambacérès est un fidèle soutien du nouveau régime, consulaire puis impérial. Homme d’ordre, il approuve la centralisation accrue de l’État que construit Bonaparte, le renforcement de l’ordre social et politique et le contrôle efficace de la société. C’est en 1804 qu’il parvient à doter le pays d’un Code civil, réunissant enfin le droit coutumier du nord de la France et le droit écrit des régions méridionales. Napoléon fait de lui son véritable bras droit, lui permettant de présider le conseil des ministres en son absence.
Un homme de confiance
Cambacérès fait fonctionner l’État sans jamais prendre d’initiative contraire à ce qui pourrait indisposer Napoléon. Jean Jacques Régis n’est pas effacé pour autant. Il sait faire valoir son point de vue et ne craint pas de s’opposer à son ombrageux maître. Ce dernier ne lui en tient pas rigueur et l’encourage à le faire : « Je continuerai toujours à vous faire connaître ma façon de voir, et si quelquefois nous différons, vous ne devez pas vous en affecter. » C’est à lui qu’il confie l’organisation du sacre mais aussi la délicate négociation de son divorce avec Joséphine. Il le couvre d’honneur. À son retour de Montpellier, Cambacérès recevra le duché de Parme et deviendra, ainsi, prince d’Empire.
Montpellier sous l'ordre impérial
Cambacérès est descendu chez son cousin, Guillaume Sabatier qui le reçoit dans son hôtel, en bas de la rue de la Loge. Le vieil homme, qui fut l'un des directeurs de la dernière Compagnie des Indes, avait été arrêté sous la Terreur et avait dû son salut à Cambacérès. Montpellier a peu changé en 15 ans, si ce n’est que les derniers remparts ont disparu, laissant la place aux futurs grands boulevards. L’ordre impérial y règne, sous la houlette du préfet Nogaret. Le maire, Pierre-Louis Granier, nommé depuis 1800, concilie ses fonctions municipales à son activité de fournisseur des armées. Le Préfet n’a qu’à se louer de cette ville, chef-lieu du département. Si l’aristocratie boude le régime, la bourgeoisie commerçante y trouve son compte. Notamment le négociant Jacques Durand-Fajon, au patrimoine immobilier considérable.
Fidèle en amitié
Jean Jacques Régis, fin gastronome, en profite pour se rendre régulièrement à Sète, déguster des sardines. À ses côtés, se tient d’Aigrefeuille, aussi gourmet que lui et dont il a fait son officier de bouche à Paris. Il ne sait pas encore que son vieil ami l'espionne pour le compte de Fouché, le ministre de l'Intérieur. Fidèle en amitié, Cambacérès protège ses amis Montpelliérains. L’avocat Jean Albisson est entré au Conseil d’État et Chaptal est Sénateur. Il n’oublie pas non plus ses frères. Il a fait d'Etienne-Hubert, un archevêque de Rouen. Jean-Pierre-Hugues, que son père a eu d’un deuxième lit, s'illustre sur les champs de bataille. Général de brigade, il est Baron d’Empire. En 1801, la veuve de son père avait entrepris de lui soutirer de l'argent. Jean-Jacques Régis avait demandé à l'Empereur d'intervenir : Jeanne Dittry fut assignée à résidence avec l'interdiction de se trouver à moins de 60 km de Cambacérès.
Et omnia vanitas
Les Montpelliérains avaient été informés de la venue de l’archichancelier par le Véridique, l’unique journal de la ville, fidèle porte-parole du pouvoir. Les réceptions se succèdent. On se presse autour de lui. Flatté, il entraine sa petite cour à travers la ville, sur les pas de sa jeunesse. Il raconte des anecdotes. Et ment un peu en désignant, place de la Canourgue, le splendide hôtel de son cousin, comme sa maison natale. A t-il honte de la plus modeste demeure paternelle, située non loin ? Au théâtre, qu’il a retrouvé avec plaisir, l’orchestre joue, à son entrée, « Où peut-on être mieux qu’au sein de sa famille » au milieu des acclamations. Il lui semble que la ville entière célèbre la gloire de son enfant. Au soir de sa vie, se remémorant ces quelques semaines montpelliéraines, il écrira dans ses Mémoires : « On se souvenait alors des services multipliés que j’avais rendus au pays. Après la chute du trône impérial, ces mêmes services ont été promptement oubliés ».
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