D’où vient Jean Hugo ?
Florence Hudowicz : Jean Hugo est né en 1894, neuf ans après la mort de son arrière-grand-père, Victor Hugo, un des plus grands écrivains de la littérature française. Le premier à avoir eu des funérailles nationales en 1885 au Panthéon. Il né dans cette famille parfaitement illustre, du côté de son papa, mais sa maman, est aussi issue d’une très grande famille de la bourgeoisie parisienne.
« Un héritage familial illustre »
Qui est sa maman ?
Pauline Ménard-Dorian. Fille d’Aline et Paul Ménard-Dorian, industriel métallurgiste et député de l’Hérault entre 1877 et 1893, héritiers du Mas de Fourques à Lunel. Aline, la grand-mère de Jean Hugo est très connue à l’époque. Elle a été une des premières à défendre les droits de l’homme. Elle tenait un des plus grands salons parisiens à la fin du XIXe siècle où se succèdent Renoir, Manet, Claudel, Clemenceau, Zola… Le petit Hugo a grandi dans un véritable musée, un monde cultivé, intellectuel…
Comment s’est-il construit avec un tel héritage ?
Longtemps, on a construit la personnalité de Jean Hugo en disant que son travail était original et singulier. Dans l’exposition, nous montrons toute sa diversité, tous les aspects de son art qui vont du décor de théâtre à la peinture en passant par les arts décoratifs, le mobilier, même le cinéma…
Par ailleurs, il ne s’est pas construit tout seul, il fait partie de son temps. Il a côtoyé les plus grands, comme Picasso, Cocteau… C’est pourquoi notre exposition, Jean Hugo le regard magique, n’est pas monographique, mais contextuelle. On restitue l’artiste par rapport à son environnement, son histoire, celle de la France, et toutes les aventures artistiques auxquelles il a participé.
Des œuvres de Picasso sont aussi présentes dans cette exposition ?
Oui, notamment, mais aussi des tableaux du Douanier Rousseau, de Félix Vallotton… On montre, par exemple, Les Baigneuses de Picasso prêtées par le musée Picasso, qui a inspiré Jean Hugo à ses débuts. Au début du XXe siècle, le cubisme révolutionne la peinture. Mais dans les années 20, après la Première Guerre mondiale, les artistes reviennent à une figuration plus classique, ils peignent des corps, des figures humaines… C’est à cette époque que Jean Hugo commence à être peintre.
« Jean Hugo plonge dans l’effervescence des années 20 »
Comment Jean Hugo débute-t-il sa carrière ?
Jean Cocteau a été son mentor, celui qui l’a découvert et l’a lancé comme décorateur de théâtre. Jean Hugo a 20 ans en 1914. Il part faire son service militaire au moment où la guerre éclate. Il a très tôt dessiné ce qu’il voyait sur le front. C’est comme ça qu’il a affuté son crayon et a révélé un talent d’observation remarqué par Jean Cocteau : « J’ai vu vos dessins chez Valentine. C’est une chance de découvrir une grâce inédite (...)" Ses dessins étaient accrochés chez Valentine Gross, une jeune pianiste de Boulogne-sur-mer, qui a fait sa place dans les mouvements artistiques parisiens. Elle deviendra sa femme.
Quelle est la mouvance artistique de l’époque ?
Après la Première Guerre mondiale, il y a un vent de soulagement terrible, une envie de se lâcher... Paris est une fête, écrit Hemingway. Ce sont les années 20, dites les années folles. Tous les artistes, les grands noms de la modernité se mettent au service des ballets russes, suédois, des soirées parisiennes… Jean Hugo se plonge dans cette effervescence.
Va-t-il connaître le succès ?
Oui, Jean Cocteau lui demande de faire ses premiers décors, Les mariés de la Tour Eiffel, et à partir de ce moment-là, il aura beaucoup de commandes. Tous les spectacles pour lesquels il fait les décors ou les costumes ont un parfum de scandale. Ça plait. Dans l’exposition, nous montrons notamment des maquettes en 3D de décors qu’il faisait lui-même, des dessins de costumes et même des costumes conservés à la Bibliothèque Nationale de France.
« En 1929, il s’installe au Mas de Fourques pour peindre »
Quand se consacre-t-il à la peinture ?
Contrairement à ses pairs, il n’a pas de formation académique. Ce sont ses succès en tant que décorateur de théâtre qui vont le former à la peinture. Au début des années 30, il s’éloigne du monde du spectacle pour véritablement se consacrer à la peinture. Il s’installe alors au mas de Fourques à Lunel dont il a hérité du côté de sa maman en 1929.
Parlez-nous de ses relations avec Picasso ?
Il a été ami toute sa vie avec Pablo Picasso. Il venait le voir à Lunel, lui à Cannes dans son atelier de La Californie, un peu de maître à élève. « Tu devrais bien te préoccuper de ta gloire, tu n’as pas le succès que tu mérites », lui disait-il. Jean Hugo est flatté. Tous les deux adoraient les corridas, ils faisaient notamment la tournée ensemble aux arènes d’Arles, de Nîmes… Francis Picabia, Louise de Vilmorin (auteur de Madame de), Jean Cocteau… Ils sont nombreux à venir au mas de Fourques à cette époque. Son grand parc devient un havre de paix pour les artistes parisiens.
« Il y a toujours une touche de mystère dans ses œuvres »
Comment peut-on décrire sa peinture ?
Jean Hugo, c’est le réalisme magique. Il observe la nature et fait comme si, elle le regardant, il voyait des créatures magiques qui l’habitent et que nous ne voyons pas… Des licornes, des centaures, des personnages de contes… Il réenchante la nature et crée son monde. Il y a toujours une touche de mystère dans ses œuvres.
Les paysages autour de Lunel l’inspirent ?
Oui, il a su valoriser les paysages qui l’entourent, de la Camargue au Pic Saint-Loup. Un soir, Picasso lui dit au mas de Fourques : « Regarde ce que tu vois par ta fenêtre, pourquoi tu vas à Cadaquès ? Tu devrais peindre ça ! » Pour le maître, le paysage local a autant de valeur à partir du moment où on veut bien y poser ses yeux…
« Tous ceux qui ont travaillé sur l’exposition sont tombés sous le charme de Jean Hugo »
Qu’est-ce qui vous plait chez Jean Hugo ?
Quand on est devant ses tableaux, on se laisse porter par cette magie, cette capacité à réenchanter le monde qui fait drôlement du bien ! Il a une approche très sensible de la nature, sa peinture est vraiment touchante. On se laisse vite emporter. Tous ceux qui ont travaillé sur l’exposition sont tombés sous le charme de Jean Hugo. C’est une personnalité incroyablement charismatique, fascinante, magnétique… Pas assez connue, pourtant, c’est notre superstar !
>>> Plus d'infos : museefabre.fr
L’héritage de Montpellier 2028
Afin de présenter une vision la plus complète possible de l’œuvre de Jean Hugo, les musées Fabre, Paul Valéry à Sète et Médard à Lunel se sont associés. Trois expositions sont présentées dans l’esprit de complémentarité initié par la candidature commune au label de capitale européenne de la culture 2028. Un même catalogue, très fourni, qui renouvelle la connaissance sur Jean Hugo a également été réalisé avec Sète.
Musée Paul Valéry à Sète : Jean Hugo Entre ciel et terre (29 juin - 13 octobre)
Cette exposition a pour projet de montrer, à travers plus d’une centaine d’œuvres – peintures, dessins, livres illustrés, objets d’art – un important ensemble d’œuvres dominé par la question du paysage, que la représentation de la nature est pour Jean Hugo autant une célébration de l’ordre du monde dans son apparence qu’une volonté de faire ressentir ce qui l’anime.
Musée Médard à Lunel : Jean Hugo, le regard magique. Sa vie à Lunel de 1920 à 1984 (19 juin au 22 septembre)
Cette exposition propose d’explorer dans les plus intimes détails le cocon créatif de Jean Hugo à Lunel : le mas de Fourques, où il vécut plus de soixante ans (1920 – 1984). Grâce au travail de mémoire effectué par la famille, il est possible de faire découvrir toutes les richesses d'un lieu et d'un héritage puissant : l’atelier de l’artiste, la passion pour la Camargue et ses traditions...