Comment êtes-vous devenu directeur du musée Fabre ?
Michel Hilaire : J’étais alors un jeune conservateur, lauréat du concours des musées de France en 1984. J’ai passé deux ans à la Villa Médicis, à Rome, entre 1987 et 1989. De retour à Paris, j’ai remarqué que, parmi les grands musées français, celui de Montpellier avait une collection remarquable mais ne bénéficiait pas du même niveau d’équipement ou de rénovation que d'autres musées, comme ceux de Lille ou de Lyon. Il y avait un vrai décalage, notamment dans le sud de la France. Le musée Fabre manquait d'espace, de climatisation, et n'avait pas de rayonnement, malgré la qualité de ses œuvres.
Qu’est-ce qui vous a motivé à vous lancer dans cette aventure ?
Michel Hilaire : Plusieurs éléments. D’abord, ma passion pour la peinture italienne et française du XVIIe siècle. Ensuite, mon intérêt pour François-Xavier Fabre, renforcé par une exposition que j’avais vue en Italie en 1988. Enfin, le contexte local : le musée était en crise, peu rénové, et j’ai senti que je pouvais porter un projet ambitieux de rénovation. Georges Frêche, le maire, m’a fait confiance.
Quels ont été vos premiers objectifs à votre arrivée à Montpellier ?
Michel Hilaire : D’abord, révéler le musée tel qu’il était. J’ai entrepris un réaccrochage, lancé des campagnes de restauration, commencé à acquérir des œuvres et à faire connaître la collection. On a utilisé le pavillon du musée Fabre, devenu aujourd’hui le Pavillon Populaire, pour organiser des expositions, faute d’espace suffisant dans le musée principal.
Et ensuite, est venu le grand projet de rénovation ?
Michel Hilaire : Oui. Convaincre la municipalité de se lancer dans ce projet était un défi. Le transfert de la bibliothèque vers la médiathèque Émile Zola en 2000 a libéré de l’espace. On a lancé une étude de programmation, puis un concours international, et enfin une fermeture complète du musée entre 2002 et 2007 pour tout repenser. Résultat : on a doublé la surface d’exposition (passée à 8 000 m²) et restauré massivement les collections.
Vous évoquez souvent votre rencontre avec Pierre Soulages...
Michel Hilaire : Elle a été déterminante. C’est Michel Laclotte, alors directeur du Louvre, qui m’a recommandé d’aller voir Soulages. Il avait étudié à Montpellier, mais s’en était éloigné, déçu du manque de reconnaissance. Il n’y avait même pas une œuvre achetée par le musée ! Nous avons changé cela. Dès 1999, j’ai organisé une exposition sur ses œuvres récentes, puis nous avons travaillé ensemble sur le projet de rénovation, notamment sur les salles qui lui sont consacrées. Il a fait une donation majeure en 2005. Cela a donné une dimension internationale au musée Fabre.

De quelles acquisitions êtes-vous le plus fier ?
Michel Hilaire : Il y en a plusieurs. Bien sûr, les œuvres de Soulages, mais aussi tout l’enrichissement du fonds ancien – du XIVe au XIXe siècle. En parallèle, j’ai développé une politique ambitieuse pour l’art contemporain, notamment autour du mouvement Support/Surface grâce à un partenariat précieux avec la Galerie Fournier. Une grande partie de cette collection vient d’ailleurs d’être donnée au musée.
Quel est le projet qui vous a pris plus de 10 ans ?
Michel Hilaire : L’acquisition et la reconstitution du Vénus et Adonis de Nicolas Poussin. Fabre avait offert la partie droite du tableau, et j’ai retrouvé la gauche à New York. Il a fallu la faire classer, la négocier, la restaurer… Elle est désormais réunie dans les salles du musée. Un moment très fort.
Quelles expositions vous ont le plus marqué ?
Michel Hilaire : La rétrospective Courbet en 2008, en partenariat avec le musée d’Orsay et le Metropolitan Museum. Ensuite, il y a eu Rodin en 2011, Bazille en 2016, Picasso en 2018 et Germaine Richier récemment avec le Centre Pompidou. Mais celle qui fut sans doute la plus ambitieuse fut Caravage et le caravagisme en 2012, en collaboration avec Toulouse. Obtenir des prêts aussi rares a été un véritable tour de force.

Selon vous, quelle est aujourd’hui la mission essentielle d’un musée ?
Michel Hilaire : Un musée doit être un lieu d’éducation et de partage. À Montpellier, on accueille près de 45 000 enfants chaque année. C’est fondamental d’initier les plus jeunes à l’art avec un langage qui leur parle. Le musée doit aussi conserver une exigence scientifique, préserver son identité et s’ouvrir à de nouvelles formes d’art et à d’autres cultures.

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Quel regard portez-vous sur votre passage au musée Fabre ?
Michel Hilaire : C’était un musée du XIXe siècle quand je suis arrivé. On l’a amené au XXIe. C’est une œuvre collective : j’ai été entouré d’une équipe formidable, de mécènes, d’amis du musée. J’ai aussi vu passer une génération de jeunes conservateurs, qui sont aujourd’hui en poste dans les plus grandes institutions. La transmission est, pour moi, essentielle.
Partez-vous avec le sentiment du devoir accompli ?
Michel Hilaire : Absolument. Le musée est prêt à célébrer ses 200 ans en 2028. Le catalogue complet de la collection Bruyas, que j’ai co-dirigé, sortira ce printemps. C’est l’aboutissement de plusieurs années de travail. Et je suis heureux de passer le relais à Juliette Trey, qui saura, j’en suis sûr, continuer à faire rayonner ce musée.