À l’été 1789, Montpellier accueille la Révolution avec enthousiasme. Sous les voutes des églises de la ville se mêlent Te deum et ferveur patriotique. Des réjouissances sont organisées pour la prise de la Bastille et Jean Jacques Régis processionne dans les rues, en pénitent blanc, portant un buste du ministre Necker, rappelé par le roi. L’été suivant, le 14 juillet 1790, l’Esplanade résonne à l’unisson de la France, pour la Fête de la Fédération, alliance de la nation et du roi. La première pierre de la colonne de la Liberté et de la Concorde est posée le 2 octobre 1791, sur l'esplanade.
Le citoyen Cambacérès
Cambacérès est acquis aux idéaux de la Révolution. Il s’est débarrassé de la particule de son nom et applaudit l’abolition des privilèges de la noblesse. Les siens, modestes somme toute, l’exonéraient de l’impôt de gabelle (sur le sel) et lui donnaient droit à une distribution annuelle de sel toute sa vie. À Montpellier, il est intégré à l’élite intellectuelle et économique favorable à une monarchie constitutionnelle. Pour guider le peuple vers la démocratie, une Société des amis de la Constitution et de l’égalité est créée autour de Cambon, Chaptal et l’avocat Jean Albisson. Elle est affiliée au club parisien des Jacobins. Cambacérès en rédige les statuts. Le club, dont le droit d’entrée n'est accessible qu’aux plus fortunés, est dominé par Jean Jacques Durand, le premier maire élu en janvier 1790.
Un juge élu par le peuple
La nouvelle municipalité à fort à faire. En comblant le fossé existant entre la Comédie et la porte de la Saunerie, elle offre du travail pendant trois mois aux plus miséreux et prend en main l'administration de l'Hôpital général. Trois écoles sont créées. La ville doit aussi embaucher six instituteurs car le refus des ecclésiastiques de prêter serment à la Constitution civile du clergé a vidé collèges et écoles de leurs professeurs traditionnels.
Le discret Cambacérès ne tient pas les premiers rôles sur la scène politique montpelliéraine. Mais on écoute les avis de ce magistrat sourcilleux, qui fait partie du Conseil des notables, chargé d’épauler le conseil municipal. Respecté pour ces compétences juridiques et son sens de la justice, il est élu en octobre 1791, président du tribunal criminel du département. Cambacérès aura à juger une soixantaine d’affaires. Aucune n’entraine la sentence de mort. Signe de l’époque, les vols sont plus sévèrement punis que les violences physiques. Un vagabond est ainsi condamné à 22 ans de fers pour avoir dérobé des hardes, un anneau d’or et quelques pièces de monnaie.
Les beaux jours de Saint Drézéry
Pour financer les réformes, l'Assemblée Constituante a décrété la vente des biens du clergé. Cette richesse foncière considérable est mise en vente en différents lots. Cambon peut enfin s’offrir le domaine du Terral, situé sur les communes de Saint-Jean-de-Védas et Lavérune tandis que le négociant Marc Antoine Bazille, devient propriétaire de la métairie de Saint-Sauveur où se développera bientôt la culture industrielle de la vigne.
Cambacérès, lui, a jeté son dévolu sur le domaine de Saint-Drézéry, appartenant au chapitre de la cathédrale de Montpellier et vendu par la municipalité de Montpellier. Membre du conseil municipal, Cambacérès n'a pas le droit de l'acquérir. Qu'importe. Il fait appel à un prête-nom. Cambacérès tient beaucoup à ce domaine. Enfant, il y passait plusieurs jours de vacances avec son vieil oncle, archidiacre de Montpellier, venu s’y reposer.
La mort du roi
La situation nationale se durcit. Depuis avril 1792, la France est en guerre. À Paris, le roi est renversé, la République est proclamée. Une nouvelle assemblée nationale, la Convention, est élue. Montpellier y élit Cambacérès par 248 voix sur 469 votants. À ses côtés, Joseph Cambon, Bonnier d’Alco, Fabre. Le tranquille magistrat de province découvre les interminables séances de la Convention, où jour et nuit, le sort de la France est débattu sous le regard et parfois les huées, du public. Les interventions incessantes à la tribune se font dans un brouhaha constant. On y a décidé de juger Louis XVI pour trahison. Cambacérès, qui n'est pas favorable à ce procès, est désigné pour se rendre à la prison du Temple et communiquer au roi sa possibilité de choisir ses défenseurs. Quelques années plus tôt, le captif lui avait accordé une pension, accompagnée d'un message rendant hommage à son père, l'ancien maire de Montpellier, réparant ainsi l'injustice dont il avait été la victime.
Pas un jour de plus
À l’inverse des autres députés de Montpellier, Cambacérès ne vote pas la mort. S'il reconnaît le roi coupable de conspiration contre la liberté et d'attentat à la sûreté de l'État, il ne vote pas son exécution mais se prononce pour sa mort conditionnelle et sa détention jusqu'à la cessation des hostilités. Sa modération n’est pas suivie. La Convention se prononce pour la mort sans délai. Cambacérès devient suspect aux yeux des révolutionnaires exaltés. Dans ces heures éprouvantes où chacun se sait surveillé et menacé, il décide alors de donner des gages aux radicaux. Louis Capet demande-t’il un délai de trois jours pour se préparer ? À la tribune, Cambacérès refuse et propose que l'exécution du roi ait lieu dans les vingt-quatre heures. L’assemblée le suit à l'unanimité. Il dira plus tard, qu’il a agi ainsi pour abréger les souffrances morales du condamné.
Cambacérès est désigné pour suivre les restes du roi déchu. Après l’exécution, il accompagne le corps au cimetière de la Madeleine, qui est alors jeté dans une fosse commune. Sous les yeux de l’ancien pensionnaire royal, des pelletées de chaux-vive ensevelissent le dernier monarque de droit divin. En cette froide journée de janvier 1793, l'avenir de Cambacérès est incertain. Pour survivre, il devra hurler avec les loups.
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