Au musée Fabre, "L’Ange déchu", icône des réseaux sociaux

16-01-25 - 12:00
16-01-25 - 13:27
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Le tableau d'Alexandre Cabanel a pris d’assaut TikTok et Instagram. Depuis sa redécouverte, il y a une quinzaine d’années, "L'Ange déchu" est devenu une référence chez les jeunes. Lucifer est à la mode...
L'Ange déchu
©Musée Fabre - photographie Frédéric Jaulmes
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Sur le compte Instagram du musée Fabre, L’Ange déchu écrase la concurrence. L’œuvre est, de loin, la plus recherchée par les internautes. Les  chiffres des dernières semaines de 2024 indiquent que le tableau d’Alexandre Cabanel a atteint 14 000 vues, 10 fois plus que Vue du village de Frédéric Bazille, deuxième au classement. Ce chiffre élevé, mais dans la moyenne des autres périodes, est un des signes de la présence de ce Lucifer magnifique et mélancolique sur les réseaux sociaux. Peint il y a 178 ans, il est devenu hype, particulièrement auprès des jeunes.  

Une icône culturelle

Sur TikTok , Mona Tazereroualti a publié le 11 janvier un post sur le tableau. « J’ai eu l’idée de le faire car, il y a quelques semaines, à Barcelone, j’ai rencontré une Londonienne qui, sachant que je venais de Montpellier, m’a tout de suite parlé de son tableau préféré.» En quatre jours, il a été vu par plus de 280 000 personnes et a suscité 250 commentaires et 50 000 like. « La majorité sont des jeunes de 18-24 ans, indique la jeune montpelliéraine de 21 ans.  Il est aussi célèbre que La Joconde ! » Les divers hashtags (#AngeMaudit, #CabanelRediscovered ou encore #FallenAngel) circulent, produisant et diffusant des vidéos, mêlant poésie, musique gothique et réflexions existentielles. 

L'ange de Cabanel est devenue une icône culturelle contemporaine. En février, il sera en Une de la très respectée revue Connaissance des arts. Il est aussi dans la rue.  On se tatoue l’éphèbe romantique sur l’avant-bras, même si certains s'interrogent sur l'idée de porter sur le corps une image de Satan. La vague a bien évidemment des effets au musée Fabre.  « Ce phénomène entraîne un public moins familier avec la peinture, constate son directeur, Michel Hilaire. Il n’est pas rare qu’on vienne de loin, spécialement pour voir L’ Ange déchu ». 

Un tableau qui fascine

Sur les réseaux sociaux, bon nombre de commentaires ou de publications sont centrés sur le contraste entre la perfection physique de l'ange et son destin malheureux. Le personnage représente pour certains un symbole de rébellion, de marginalité ou de quête d'identité. « Le thème de la chute d’un être parfait parle à un large public en raison de son universalité. Cette thématique transcende les époques et continue de résonner avec les préoccupations contemporaines et la recherche d’une certaine spiritualité », avance Michel Hilaire. 

Clara Bunting vit à Cambridge, au Royaume-Uni. À 16 ans, elle connait le tableau depuis toujours. Venue à Montpellier l’été dernier, elle a profité de la gratuité du musée Fabre, un dimanche, pour le voir autrement que sur un écran. Un détail du tableau la fascine  : « Les yeux ressortent particulièrement et les larmes transmettent un mélange complexe d'émotions, à la fois de défi et de désir de vengeance, ou peut-être de douleur après avoir été banni du ciel. » Le regard de l'ange, empreint de mélancolie, de colère et de frustration participe à la fascination du public

 

regard

Une métaphore du peintre

Alexandre Cabanel est âgé de 24 ans quand il peint L’Ange déchu. Il est pensionnaire de la villa Médicis à Rome. « En genre Erasmus », résume drôlement Alice sur sa chaine Youtube. Le Montpelliérain envoie régulièrement des tableaux témoignant de ses progrès à l’Académie de peinture de Paris. Inspiré du Paradis perdu de John Milton, son travail est très mal accueilli. Le thème est jugé trop audacieux (la naissance de Satan est alors peu représentée dans la peinture française) et il a l'audace de figurer le Mal en un héros grec au corps parfait. Ces critiques ont blessé profondément Cabanel qui, évoquant ses professeurs, confiait, plein d'amertume, à son ami Alfred Bruyas : « Je suis pour eux, une espèce de renégat de leur école. » Le jeune prodige était devenu, à son tour, un ange déchu.   

Un tableau de jeunesse

Cabanel ne s’est jamais séparé du tableau de sa jeunesse. À sa mort en 1889, son frère en fait don au musée Fabre. « Il n’était pas mis en valeur et a longtemps été placé trop haut. On le voyait mal, raconte Michel Hilaire. En 1943, il dut être évacué du musée par crainte d’un bombardement. Le déménagement s’est fait dans la précipitation et le tableau est tombé sur une échelle. Tout le torse était transpercé. » La première restauration n’était pas satisfaisante et le directeur du musée Fabre en commanda une nouvelle à la fin des années 90. « Cette œuvre est admirable. D'un exercice scolaire, Cabanel en a fait une trouvaille artistique personnelle.» 

L'Ange déchu est désormais bien visible dans la salle Cabanel du musée, qui lui a consacré une rétrospective en 2010, point de départ de sa redécouverte. 

 


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