SÉRIE "LES SEIGNEURS DE MONTPELLIER" // ÉPISODE 3

Guilhem VI attaque Montpellier

28-07-25 - 06:30
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À la tête d’une cité prospère, carrefour de savoirs et de commerce, Guilhem VI règne avec éclat mais sans partage. Fier, intransigeant, il refuse d’entendre les aspirations des bourgeois de Montpellier, désireux de prendre part au pouvoir. En 1141, la ville se soulève.
Tour des Pins, Montpellier
La Tour des Pins - © Hugues Rubio
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Lorsque Guilhem VI hérite de Montpellier en 1121, il n’est encore qu’un adolescent. Il reçoit une seigneurie riche, animée, ouverte sur le monde. Dans ses rues étroites, les marchands affluent. Catalans, Champenois, Génois, Pisans, Vénitiens… tous viennent pour une seule chose : les draps teints de Montpellier, réputés bien au-delà des terres occitanes. On y parle plusieurs langues, on y échange des monnaies diverses. Musulmans, juifs, chrétiens s’y croisent sans surprise. Montpellier, déjà, attire. Par ses marchandises et par ses savoirs.

Car ici, la médecine est reine. On y vient pour apprendre, pratiquer, transmettre. L’école n’est pas encore une institution, mais la réputation court vite. Assez pour que Bernard de Cîteaux s’en amuse. À Montpellier, dit-il, les médecins prennent tout « ce qu’on a et tout ce qu’on n’a pas... ».

Les grands féodaux 

Au début du XIIe siècle, le Languedoc est morcelé, rude et incertain. Les comtes et vicomtes, nombreux, se partagent un territoire sans roi véritable. À Carcassonne, Narbonne, Nîmes, Béziers ou Agde, chaque seigneur gouverne en maître. Alliances par le sang, pouvoir militaire, contrôle des terres : telle est la règle féodale. Le comte de Toulouse, suzerain théorique, est trop faible pour s'imposer. Dans ce monde fragmenté, chaque seigneur défend jalousement son autonomie.

La Vraie Croix à Montpellier

Vers 20 ans, Guilhem VI part en croisade. Il suit l’exemple de son père. Mais Guilhem V, à court d’argent, avait dû s’endetter auprès des bourgeois de la ville, la famille Aymoin. En gage, il leur avait remis son château et la viguerie, cette charge précieuse qui donnait pouvoir de juger et d’administrer. Un legs empoisonné pour son fils qui doit cohabiter avec ces viguiers auxquels il n’a jamais pardonné l’humiliation infligée à son père. Les rapports sont tendus, voire franchement hostiles. Le seigneur ne gouverne pas seul. Et cela lui pèse.

La relique et la ville

Deux ans durant, le Montpelliérain combat en Orient. À son retour, il ne rapporte ni or, ni terres nouvelles mais un fragment de la Vraie Croix. Une relique précieuse et sacrée. Il fait bâtir une chapelle pour l’accueillir, adossée à son nouveau château, sur l’actuelle place de la Canourgue. Le prestige de Montpellier, sur le chemin de Compostelle, devient spirituel.

Lignée et alliances

Peu après son retour, Guilhem VI épouse Sybille, une noble catalane de la maison de Montaplana. Elle lui donnera huit enfants. Poursuivant une stratégie matrimoniale, il arrange le mariage de son frère cadet, Guilhem d’Aumelas, avec l’héritière du comté d’Orange. De cette union naîtra le troubadour Raimbaud d’Orange.

Sa sœur est mariée à Bernard IV, comte de Melgueil, un nom puissant. Melgueil, ce n’est pas qu’un comté : c’est une monnaie. Le denier melgorien, stable, reconnu, est échangé chaque jour sous les auvents des changeurs, près de l’église Notre-Dame-des-Tables de Montpellier, là où s’étend aujourd’hui la place Jean-Jaurès. La frappe de la monnaie est un droit régalien très lucratif pour le comte. 

Denier melgorien
Denier melgorien - © D.R.

La lutte pour Melgueil 

Guilhem VI va profiter de la mort du comte Bernard pour accroitre son influence sur le comté de Melgueil. Oncle de la jeune héritière, Béatrice, il obtient la tutelle de la comtesse mineure. Mais cet avantage suscite la protestation d'Alphonse Jourdain, le comte de Toulouse qui entend être associé à la succession melgorienne. 

Un accord est trouvé : le comte de Toulouse doit être associé au choix du futur époux de Béatrice. Guilhem s’y engage, mais dans les faits, il n’en tient aucun compte. Rapidement, il marie sa nièce au comte de Provence, sans consulter son rival. Ce choix est un camouflet pour Alphonse Jourdain car le nouveau marié n’est autre que le frère du comte de Barcelone, grand rival du Toulousain pour la possession du Languedoc. 

La protection du Pape

Toute sa vie, Guilhem VI refusera de courber l’échine devant l’évêque de Maguelone qui lui réclame sans cesse l’hommage féodal sans jamais l’obtenir. Malgré ses plaintes répétées, Rome n'intervient pas. Le pape Innocent II garde une affection particulière pour Guilhem. En 1130, fuyant Rome en révolte, le Souverain Pontife avait trouvé refuge en France. Guilhem VI l’avait accueilli à Maguelone, puis escorté jusqu’à Clermont-Ferrand. Touché par ce soutien et satisfait de sa compagnie, le pape l’éleva au rang de chevalier du Saint-Siège.

Quand on a le Pape pour ami, que valent les plaintes d'un petit évêque ? Le fier seigneur reste également sourd aux revendications des bourgeois de Montpellier. L’élite urbaine réclame l'instauration de consuls chargés d'administrer la cité à ses côtés. Les Montpelliérains entendent suivre l'exemple de Béziers, où le vicomte Raimond a accepté la création d'un consulat. Mais Guilhem, lui, ne veut rien céder. Il rejette toute idée de gouvernement partagé avec la bourgeoisie.

1141 : la cité se soulève

En 1141, Montpellier explose. Les notables, soutenus par la population, se révoltent. Guilhem VI est chassé de sa propre ville et contraint de se réfugier à Lattes. Même excommuniés par Innocent II, les habitants défient l’autorité seigneuriale et proclament un consulat.

Avant d’employer la manière forte pour mater la rébellion, Guilhem tente la voie de la médiation. Une délégation pontificale est envoyée pour rétablir la paix. Mais le jour de la rencontre, les représentants de Montpellier ne se présentent pas. L’affront est alors insupportable pour le seigneur, déjà humilié par la perte de sa ville.

La reconquête et le pardon

Au printemps 1143, il passe à l’action. Il lève ses troupes, convoque le ban et l’arrière-ban de ses vassaux. Il fait appel à ses alliés et reçoit l’appui militaire du comte de Barcelone. Une escadre génoise, quant à elle, bloque le port de Lattes, coupant les révoltés de toute aide maritime. Le siège de la ville peut commencer. L’hiver venu, la cité, épuisée, doit céder. En décembre, Montpellier se rend.

Le vainqueur se montre plus clément qu’attendu. Guilhem dissout le consulat et se contente d'exiler les meneurs, dont plusieurs membres de la famille Aymoin. Il ne parvient toutefois pas à leur arracher la viguerie, qui demeure dans cette famille. Néanmoins, il prend une revanche symbolique en ordonnant la destruction de l’ancien château seigneurial, siège de ce pouvoir partagé qu’il n’a jamais accepté.

De la guerre à la prière

Suivant l'exemple courant à cette époque, Guilhem VI décide de consacrer ses dernières années à Dieu. En 1147, il transmet la seigneurie à son fils aîné et quitte Montpellier pour le monastère cistercien de Grandselve, en Gascogne. Devenu moine, il y sera enterré en 1162. 

Retrouvez les autres épisodes de la série ici. 


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