SÉRIE "LES SEIGNEURS DE MONTPELLIER" // ÉPISODE 5

Guilhem VIII libère le savoir

25-07-25 - 14:53
11-08-25 - 11:03
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En 1172, Guilhem VIII hérite d’une seigneurie florissante et puissante. Son règne marque l’apogée politique de la dynastie montpelliéraine. Ami des arts, maître d’une seigneurie tolérante, il laisse à sa mort une succession lourde d’incertitudes.
Sceau de Guilhem VIII de Montpellier
Sceau de Guilhem VIII représenté assis sur un tabouret, jouant de la harpe - © Archives de Montpellier
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Lorsqu’il succède à son père en 1172, Guilhem VIII a une quinzaine d’années. Il hérite d’une seigneurie puissante et prospère. Le pouvoir montpelliérain s’étend sur une partie de l'actuel département de l’Hérault et peut compter sur un réseau vassalique solide, allant du Pouget à Loupian, de Saint-Pons à Frontignan. 

L'énergie de la ville

Montpellier est protégée par la Commune clôture, une enceinte de deux mètres de haut, dont l’édification s’achève. À l’intérieur vivent environ 10 000 habitants. Artisans, marchands, médecins, tanneurs, prêtres, juristes impulsent à la ville une énergie débordante.  

À l’aube du XIIIe siècle, Montpellier s’est imposée comme un carrefour commercial de premier plan en Méditerranée. Le port de Lattes joue un rôle stratégique dans ce développement, facilitant le commerce maritime vers l’Orient. La paix signée avec Gênes assure la sécurité des marchandises. La ville est réputée pour la fabrication et la teinture vermeille de ses draps et son vin est bu jusqu’à la table du roi d’Angleterre. 

Un mariage inattendu

En 1174 une flottille venue de Byzance accoste à Lattes. À son bord, Eudoxie Comnène, nièce de l’empereur Manuel Ier, qui était en route vers Barcelone pour épouser le roi d'Aragon. Or le souverain vient d'épouser une autre princesse. 

Pris au dépourvu, les ambassadeurs byzantins acceptent une alternative diplomatique audacieuse. Guilhem VIII épouse la princesse impériale. Ce mariage extraordinaire confère au jeune homme un surcroit de prestige auprès des grands seigneurs du Languedoc.

L'édit de 1181

Puissance politique, Montpellier est impliquée dans le conflit entre son protecteur, le roi d’Aragon et l'ennemi de celui-ci, le comte de Toulouse. Aux côtés du roi Alphonse II et des vicomtes de Béziers et de Nîmes, Guilhem VIII participe à plusieurs campagnes militaires contre Toulouse. Finalement, Alphonse et Raimond V signeront la paix en 1185, mettant fin à cette guerre méridionale poursuivie depuis un siècle. 

Durant cette période, Guilhem édicte une loi qui va infléchir le destin de Montpellier. Il concède la liberté des écoles de médecine. Quiconque désormais, quelle que soit son origine, a le droit d’enseigner la phisica. Dispensé à Montpellier depuis plus d'un siècle, l'enseignement médical avait du émerger progressivement et un monopole s'était imposé. En y mettant fin, le pouvoir seigneurial devient le garant et le protecteur de la liberté de professer la médecine. 

Installés dans le château seigneurial bâti sur l’actuelle place de la Canourgue, Guilhem VIII et Eudoxie mènent une vie de cour raffinée et cultivée. Le seigneur s’entoure de troubadours réputés tels que Folquet de Marseille et Azalaïs de Porcairagues, la trobairitz  qui chante son amour pour Guy Guerrejat, l’oncle de Guilhem VIII. 

Cartulaire
Guilhem VIII est le commanditaire du cartulaire qui renferme la copie des plus anciennes chartes concernant l'histoire de Montpellier - © Archives de Montpellier

Le temps des favoris

Si Guilhem bénéficie de l’affection des Montpelliérains, l’aspiration à plus de libertés communales est encore vive dans la population. Elle est entretenue dans les échoppes des artisans, notamment ceux réunis au sein de la confrérie des teinturiers, le corps de métier qui assure la prospérité de la seigneurie. Mais pas davantage que son grand-père et son père, Guilhem VIII n’est disposé à accorder le consulat à ses sujets. 

S’il est le seul à trancher, Guilhem VIII ne gouverne toutefois pas seul. Il s’entoure de conseillers issus de la riche bourgeoisie de la ville et choisit ses favoris dans cette élite urbaine, particulièrement chez les Lambert et les Tournemire, peu appréciés de la population. 

À la fin de son règne, il solde la rivalité que ses prédécesseurs entretenaient avec la famille Aymoin en rachetant la viguerie aux dernières héritières. Reprenant ainsi totalement le contrôle de la justice seigneuriale, il crée aussitôt la fonction de bayle, juge au service du seigneur. Les premiers titulaires sont choisi dans la famille Lambert.

Coup de foudre

De son union avec Eudoxie Comnène était née une fille, Marie. En l’absence d’héritier mâle, la seigneurie lui reviendra. Et tombera dans les mains de son mari, dans les mains d'une autre famille, d'une autre lignée. Celle des Guilhem, ouverte en 985, disparaitra alors. 

En 1187, alors qu’il séjourne en Espagne, Guilhem tombe amoureux d’Agnès de Castille. Dès lors tout va très vite. Eudoxie est répudiée sans aucun jugement ecclésiastique et envoyée au monastère d’Aniane. Les deux amants se marient, au grand dam de l’évêque de Maguelone. L’union est prolifique. Huit enfants dont six fils voient le jour. Sa descendance mâle assurée, il unit Marie au comte de Comminges en lui faisant signer une renonciation à ses droits sur Montpellier. 

La répudiation et le remariage sont diversement appréciés à Montpellier, bastion de l’orthodoxie catholique. Mais Guilhem peut compter sur la traditionnelle bienveillance du Saint Siège. Aucune sentence d’excommunication n’a été fulminée contre lui. La réprobation est, en revanche, entretenue par l’évêque de Maguelone. Résidant désormais à Montpellier, il ne cesse d'exprimer son indignation et sur les marchés le mot batards circule. 

La demande au pape

À l’été 1201, Guilhem demande au pape de légitimer les enfants d'Agnès. Il meurt le 9 novembre 1202 sans avoir reçu de réponse. Il lègue la seigneurie au jeune Guilhem IX, qu’il assiste d’un conseil de régence, dirigé par Jean Lambert. 

Guilhem VIII est le troisième et dernier seigneur de Montpellier a être inhumé à l’abbaye de Grandselve, en Gascogne. La dalle mortuaire à peine scellée, arrive à Montpellier la réponse du pape. Elle est négative. 

Quelques jours après la mort de son père, Marie revient à Montpellier. Répudiée et chassée par son époux, laissant ses deux filles, elle cherche refuge dans sa ville natale. Une ville dont elle reste, en droit, l’héritière légitime. Sa renonciation annulée par sa répudiation, elle redevient prétendante à la seigneurie de ses ancêtres.

Retrouvez les autres épisodes de la série ici. 


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