Saint-Geniès-des-Mourgues, c’est dans vos gènes ?
Bérengère Bouscaren : Oui, ma famille est de Saint-Geniès depuis de nombreuses générations, du côté de ma mère comme de mon père. J’ai grandi à Saint-Geniès, puis à Saint-Just à l’âge de dix ans jusqu’à ce que je quitte la maison de mes parents. Mais je suis revenue dans mon village, c’est là que j’ai eu ma première maison et mes parents m’ont suivie un peu plus tard !
Comment expliquez-vous cet attachement à votre village ?
B. B. : Il n’a pas changé depuis que je suis petite. Avoir le même maire depuis 30 ans, ça joue énormément. Yvon Pellet est le pilier de Saint-Geniès, il a su conserver l’âme du village. C’est lui aussi un enfant du village amoureux de nos traditions qu’il soutient indéfectiblement.
Le club taurin Paul Ricard Le Trident que vous présidez est au cœur de ces traditions ?
B. B. : C’est tout un village qui participe aux traditions. Comme Yvon a l’habitude de dire, à Saint-Geniès, ses habitants ne dorment pas dans le village, ils y vivent ! Commerçants, associations, parents d’élèves, membres du club taurin… Tous s’investissent dans la vie du village. Les anciennes familles saint-geniéroises, comme les nouveaux arrivants.
Comment sont-ils intégrés ?
B. B. : Grâce à Pierre et Mathieu Bousquet, père et fils. Chaque année ils accueillent les nouveaux arrivants pour leur faire découvrir le club et nos traditions. Notre convivialité donne envie de s'intégrer et de participer. Par exemple, il y a quelques années, quand on a organisé une capelado (1) pour le Trophée taurin de la Métropole (jeudi 28 août 2025 à Saint-Geniès-des-Mourgues) plus d'une centaine de bénévoles ont répondu présent, dont énormément de nouveaux. Grâce à cet élan collectif, on a remporté le prix de la plus belle capelado de la saison !

Ils font partie du club taurin ?
B. B. : De plus en plus. Nous sommes une cinquantaine, quatorze licenciés dont six personnes au bureau. Dominique et Didier sont trésoriers, des retraités, tout comme mon père Jean-Christophe, qui a toujours été au club taurin. Murielle, revenue comme moi au village et Lucille, la plus jeune, sont secrétaires. Ce qui est original, c’est que le bureau est composé à 50 % de femmes. Nous sommes la nouvelle génération. À Saint-Geniès, le club taurin s’occupe de tout ce qui se passe dans les arènes. Grâce aux compétences de Julien Curan, nous organisons une dizaine de courses camarguaises par an.

Qu’avez-vous amené au club ces dernières années ?
B. B. : Le club taurin est depuis longtemps une belle association marquée par l'engagement de Rémi Dumas, ancien président. Ce que j'essaie d'apporter à mon tour c'est avant tout une dynamique collective où chacun trouve sa place, puisse s'investir selon ses compétences personnelles et ses envies. Aurore, par exemple, s'implique dans les journées pédagogiques, Roxane cordonne les grandes capelado, Lise, jeune Arlésienne, accompagne celles qui revêtent le costume, Benoit construit des jeux pour initier les enfants aux rasets... J'ai aussi à cœur de créer des moments forts comme la récente soirée bodega, malgré la pluie qui l'a perturbée, cet événement s'est transformé en un vrai travail d'équipe. Je souhaite cultiver cette ambiance bienveillante, festive et solidaire où chacun apporte sa pierre.
D'autres nouveautés ?
B. B. : Oui, nous voulions que nos enfants fassent partie du club taurin, pour intégrer toutes les générations. Pour cela, nous avons créé le club taurin des péquelets l’année dernière et celui de l’avenir cette année. Le club des péquelets permet aux enfants scolarisés en primaire d’avoir leur carte de membre et surtout de bénéficier de trois sorties gratuites par an, dans le monde de la bouvine. Ils ont par exemple partagé la vie d’un éleveur de chevaux de Camargue qui apprennent à faire le tri des taureaux, d’un manadier où ils ont vu les vaches qui ont mis bas pendant l’hiver, ils ont assisté aux soins des animaux… L’idée est de leur faire toucher du bout des doigts ce que seulement leurs camarades nés dans ce milieu connaissent. C’est aussi l’occasion de les sensibiliser à la protection de la nature, de la biodiversité et aux effets des changements climatiques.
Et le club avenir ?
B. B. : C’est la génération suivante, quand ils sont adolescents, entre 11 et 17 ans, avant de faire partie de « la classe », c’est-à-dire le groupe des jeunes qui ont 18 ans dans l’année et qui s’occupe du taureau piscine dans les arènes et des encierros (2) sur la place du village. Le club avenir organise, lui, le taureau paille lors de la fête votive. Les abrivados (3) et bandidos (4) sont quant à elles gérées par le comité des fêtes de la mairie. Chacun trouve sa place dans le maintien des traditions.

Vous avez baigné dans ces traditions ?
B. B. : Oui, ce sont des madeleines de Proust. Mon père état gardian, et avec mon frère, nous avons grandi dans sa passion, entourés par l'univers de nos parents. Même si à l'époque les femmes ne montaient pas beaucoup à cheval, contrairement à aujourd'hui, j'étais déjà passionnée !
Les traditions attirent toujours du monde ?
B. B. : Oui, surtout qu'à Saint-Geniès, on est un de rares villages à continuer à organiser des abrivados et bandidos sans barrière. Nous n'avons pas de barrière, mais nos portails restent ouverts. Lors des abrivados et des bandidos, tout le monde peut entrer. Chez ma grand-mère, des inconnus rentrent dans son jardin, montent sur ses murets. C'est un état d'esprit et des moments de partage que l'on retrouve rarement de nos jours. Cela va même au-delà des traditions : c'est une manière de transmettre une philosophie de bienveillance et de solidarité, et de lutter à notre échelle contre une société trop individualiste, qui critique ce qu'elle ne connaît pas. C'est un héritage que l'on maintient et que l'on veut offrir à nos enfants. Il n’y a pas plus d’accident qu’hier, mais les mentalités ont changé, les gens sont plus procéduriers. Le coût des assurances est un vrai sujet pour les clubs taurins et les manadiers. On se rassemble, on s’organise, on se soutient pour maintenir nos traditions.
Quel est votre plus beau souvenir ?
B. B. : C’était le taureau à la corde (5) dans le centre du village. J’avais moins de dix ans. C’était génial, il y avait énormément d’excitation. Quand je vois aujourd’hui mes enfants qui veulent attraper les taureaux et moi derrière, tremblante, ça me ramène à ma propre enfance. Je me revois quand le taureau passait dans les rues, que je courais pour le retrouver… Les grands-mères qui ne pouvaient pas courir donnaient une pièce aux jeunes de la classe, ceux qui organisaient le taureau à la corde, pour qu’il passe en bas de chez elles ! Toutes les générations communiquaient entre elles, partageaient les mêmes émotions. C’est ce qu’on essaye de faire au club taurin. C’est ce qui est beau dans les traditions, ces échanges, cette transmission.
- 1 - Capelado : spectacle autour du défilé des raseteurs dans l'arène en ouverture des courses camarguaises.
- 2 - Encierro : lâcher de taureaux Camargue emboulés dans un espace clos par des barrières.
- 3 - Abrivado : conduite des taureaux depuis les pâturages jusqu'aux arènes sous la surveillance de gardians.
- 4 - Bandido : retour des taureaux des arènes aux pâturages.
- 5 - Taureau à la corde : taureau attaché à une corde que les habitants promenaient à travers les rues du village.