Factrice de clavecins depuis 1981 à Montpellier, Martine Argellies a converti le garage de sa maman en vaste atelier insonorisé. Dans l’enceinte de cette ancienne maternité, une statue d’Artemis, déesse de la fécondité, trône au-dessus d’un étonnant décor mural et veille désormais sur cette « mère » des clavecins.
Un assemblage de métiers
Avec sa petite équipe, ces artisans précieux dotés de savoir-faire rares sont les gardiens d’un patrimoine musical et d’un métier, ou plutôt d’un assemblage de métiers, pratiqués par une poignée de professionnels en France. Ils sont trois à officier au 11 bis rue des Soldats : Martine Argellies, 67 ans, rare femme factrice, le fidèle Sébastien Bec, 51 ans, talentueux sculpteur-ébéniste, et Arthur Vannier, 33 ans, spécialisé dans la finition musicale, musicologue, accordeur de piano, arrivé il y a deux ans et demi en provenance du Nord.
Des instruments inspirés des modèles des XVIIe et XVIIIe siècles
« Nous sommes un des plus gros ateliers sur ce micro-marché d’ampleur international. Nous avons 18 modèles en catalogue et vendons partout en Europe. Jusqu’en Corée du Sud, Japon ou encore, Vietnam », explique la patronne des lieux où sont fabriqués des clavecins de toutes tailles, formes et provenances. Rien n'est standardisé. Chaque instrument est minutieusement réalisé selon les modèles « inspirés » de plans de clavecins des XVIIe et XVIIIe siècles, français, flamands ou italiens.
Au fond de l’atelier, la menuiserie. C’est là que se déroulent les nombreuses étapes de fabrication de cet instrument à cordes pincées, composé essentiellement de bois aux diverses essences. Du tilleul au peuplier pour la caisse et les multiples pièces, et exclusivement de l’épicea, en provenance d’Allemagne du sud, pour le cœur des instruments. « Notre principale difficulté ces dernières années, comme pour de nombreux artisans, est l’approvisionnement en bois de qualité », explique la factrice de clavecin. À la demande, ses instruments sont décorés avec finesse de motifs floraux, de dorures ou parés de tableaux de maîtres.
Faire chanter le clavecin
Une fois le clavecin terminé, c’est l’heure des réglages pour le faire « chanter » au goût de son futur propriétaire. Des musiciens exigeants. Tout est dans les détails et cette étape cruciale peut prendre du temps… « Il faut parler la même langue qu’eux, ce n’est pas évident. Ils ont des palpeurs anatomiques sous les doigts ! ».
Un clavecin, qu'es aquò ?
Instrument de musique à claviers et à cordes pincées, "le clavecin était l'instrument de la noblesse. Il a traversé trois siècles, du XVIe au XVIIIe siècle, en France, Italie et Allemagne. Des compositeurs de musique dite « baroque » comme Rameau, Bach ou Frescobaldi, lui ont consacré de nombreuses œuvres très variées. De la musique d’une grande vitalité, exubérante, qui vous prend à la gorge ! Le son du clavecin est totalement adapté à l’oreille humaine, contrairement au piano, plus mégalomane, plus romantique, qui a pris sa place. Le clavecin, symbole de l’ancien régime, n’a malheureusement pas résisté à la Révolution ! »
>>> Pour écouter du clavecin, deux rendez-vous à l'opéra de Montpellier :
- Le 18 novembre à 19h, à l'opéra Comédie : Destinées par Le Consort ;
- Le 11 avril à 19h, au Corum : Corelli2 par Le Consort.
De la location à l’achat
Cependant, tous les musiciens n’ont pas leur clavecin, la plupart d’entre eux les louent lors de leurs concerts. Martine Argellies et son équipe viennent alors les accorder et parfois les transportent dans leur petite camionnette... « C’est un quart de notre chiffre d’affaires. Un clavecin coûte entre 7 800 et 30 000 euros et prend de la place même s’il existe de petits modèles comme l’Epinette qui mesure tout de même au minimum 1,50 mètre ».
Son clavecin préféré : « Le Franco-flamand Rückers-Taskin. Ma professeure de clavecin a choisi ce modèle du XVIIe siècle à la Cité de la musique à Paris. Nous avons eu de la chance, car le musée a édité les plans et on a pu travailler avec ces archives de deux siècles et demi pour le fabriquer ».
JEP : rendez-vous les 20 et 21 septembre à l’atelier
Factrice de clavecin est un métier physique. À 67 ans, Martine Argellies envisage sérieusement à ralentir la cadence, avant de passer la main à son duo de choc. En attendant, elle partagera une nouvelle fois avec ses visiteurs sa passion de cet instrument « injustement méconnu » lors des Journées européennes du patrimoine les 20 et 21 septembre « C’est mon devoir ! ».