Sous un soleil éclatant, une cour aux murs blanchis à la chaux semble tout droit sortie d’un village tunisien. Les surfaces irrégulières racontent le temps qui passe, un balai suspendu et un bouquet de piments rouges sèchent contre le mur, tandis qu’une chemise flotte doucement sur un fil à linge. À l’intérieur, quelques pièces meublées avec simplicité laissent croire que des générations s’y sont succédé.
Ce lieu, vibrant d’authenticité, n’est pourtant pas en Tunisie. Le décor a été entièrement construit au Collège des Écossais, non loin du Plan des Quatre Seigneurs, à Montpellier. C’est ici que Kaouther Ben Hania, la réalisatrice tunisienne y tourne une histoire intime, inspirée par les secrets familiaux et les blessures du passé. Le film raconte l’enquête d’une jeune tunisienne des années 1990 sur le passé de sa grand-mère dans les années 1940, autour d’un mausolée enfoui au cœur d’une maison.


Des conditions idéales
« Pour des questions budgétaires, nous avons préféré tourner en France, explique le producteur Nadim Cheikhrouha. L’idée de s’installer à Montpellier revient à Thierry Muscat, le directeur de production, natif de la ville. Cela s’est révélé une excellente idée. » Cinq jours de tournage ont également eu lieu en Lozère, où les paysages rappellent ceux de la campagne tunisienne.
Si d’autres séquences ont été filmées dans les caves de l’hôtel de Ville de Pignan, transformées pour l’occasion en centre culturel de Tunis, dans un amphithéâtre de l’université Paul-Valéry et dans une villa privée à Lattes, l’essentiel des prises de vues ont eu lieu au Collège des Ecossais. « Le vaste terrain offre l’espace nécessaire pour construire la maison où se déroule l’intrigue. Le décor a été érigé en août, pour un tournage débuté début septembre. Il y avait ici la lumière, les volumes et le calme qu’il fallait », poursuit-il, ravi de ne pas avoir subi la pluie depuis le début des prises de vues.


Un vivier de talents
Le choix de tourner à Montpellier a permis d’impliquer de nombreux professionnels locaux. 60 % des techniciens habite non loin du lieu de tournage. Parmi eux, Guillaume Noël, chef machiniste, heureux de constater l’essor du secteur audiovisuel régional : « Quand je suis revenu vivre ici en 2012, tout restait à faire. Aujourd’hui, il y a un vrai vivier de talents. » Parmi eux, Mathilde Masset, troisième assistante caméra, illustre cette réalité. Ancienne professeure d’anglais, reconvertie dans le cinéma il y a trois ans, elle parvient à travailler régulièrement et a le privilège du choix. « Certes, il y a les séries télévisées mais c'est bien aussi de s'impliquer sur des films qui ont du sens, comme celui-ci. »


Figurants et acteurs montpelliérains
Le film, coproduit par la France, l’Allemagne, la Belgique, la Suède et la Tunisie, a réuni une équipe cosmopolite. Si par exemple, le preneur de son est suédois ou la maquilleuse allemande, c’est en anglais, français et en tunisien que se font les échanges entre la cinquantaine de personnes sur le plateau. Les rôles principaux sont tenus par des comédiens tunisiens, notamment Fatma Ben Saïdane, très respectée dans la profession.
Plus d’une centaine de figurants ont été mobilisés, la plupart issus de la diaspora maghrébine. Parmi eux, Bassem Akrouti, ingénieur en informatique et comédien amateur montpelliérain. Engagé pour deux jours, il incarne un fonctionnaire tunisien venu annoncer une expulsion : « J’ai pris des jours de congé pour tourner. C’est une expérience très amusante. Je me suis même laissé pousser la moustache pour l’occasion ! ».


Le dernier clap
Vendredi 17 octobre. Dernier jour de tournage. On range les câbles, on démonte les décors dont une partie sera détruite ou réutilisée pour de futurs tournages. Comme toujours au cinéma, ce qui a été patiemment bâti disparaît presque du jour au lendemain.
Au-delà de l’aventure artistique, le film aura laissé une empreinte économique notable. Selon le producteur, près d’un million d’euros a été dépensé sur le territoire, entre hébergements, restauration, locations de matériel et salaires, favorisant l’économie locale. Avant de quitter Montpellier, Nadim Cheikhrouha se confie: « Je ne connaissais pas la ville avant ce tournage. Aujourd’hui, j’ai très envie de venir m’y installer. »


Le cinéma engagé de Kaouther Ben Hania
La réalisatrice s’est imposée comme l’une des grandes voix du cinéma arabe contemporain. Elle construit une œuvre audacieuse, entre fiction et documentaire, où se mêlent engagement politique et regard profondément humain. Révélée avec Le Challat de Tunis (2014), satire de la société tunisienne post-révolutionnaire, elle explore ensuite la question de la justice et du courage féminin dans La Belle et la Meute (2017), sélectionné à Cannes. En 2020, L’Homme qui a vendu sa peau lui vaut une nomination historique à l’Oscar du meilleur film international, une première pour la Tunisie.
En 2023, Les Filles d’Olfa (César du meilleur documentaire), œuvre puissante entre réalité et reconstitution lui apporte une reconnaissance mondiale.
Son dernier film La Voix de Hind Rajab, Lion d'argent à la dernière Mostra de Venise, est en compétition au Cinemed. Ce documentaire suit les bénévoles du Croissant-Rouge pour tenter de venir en aide à une fillette piégée dans une voiture sous les tirs à Gaza.
Kaouther Ben Hania présentera son film lors de sa projection à 15h au Corum (salle Pasteur).