Quelle est la mission de l’EID Méditerranée ?
Laurent Décamps : Notre mission originelle, depuis plus de 65 ans, est de démoustiquer. Ce n’est pas une éradication, car c’est impossible, mais un contrôle. Nous maintenons le nombre de moustiques à un seuil jugé acceptable pour qu’ils ne causent pas de nuisances en ville. Cela concerne particulièrement deux espèces, parmi une cinquantaine présente sur le littoral méditerranéen français : l’Aedes caspius et l’Aedes detritus. Ce sont des moustiques des marais, qui piquent l’homme et qui ont une grande capacité de dispersion.
« Démoustiquer pas éradiquer »
Quelle est votre zone d’action ?
Les zones humides du littoral méditerranéen et l’aire de dispersion de ces moustiques. Soit aujourd’hui 66 000 hectares répartis sur 220 communes, entre l’étang de Berre (Bouches-du-Rhône) et la frontière espagnole (Pyrénées-Orientales). Dans la Métropole de Montpellier cela concerne 18 communes sur les 31 du territoire (1).
Comment se reproduisent ces moustiques ?
Les femelles pondent 800 à 1 000 œufs (environ quatre pontes par femelle et une durée de vie de trois semaines). Elles se nourrissent de sucs végétaux, mais ont besoin de sang et de protéines pour pondre… Au contact de l’eau, les œufs éclosent et les larves apparaissent. C’est dans les premiers jours de la vie des larves que nous devons intervenir avec notre insecticide pour éviter leur transformation en moustique adulte.
« Des interventions de plus en plus ciblées et raisonnées »
Comment agissez-vous ?
Depuis 2007, nous utilisons exclusivement un bio-insecticide d’origine naturelle, le Bti (2), homologué par l’Europe, qui cible ces deux espèces de moustiques et que nous épandons lorsque nous constatons la présence de larves en grande quantité. Les traitements se font majoritairement par voie aérienne, mais aussi depuis le sol. Notre but est d’éliminer les larves, car à l’état adulte, c’est trop tard puisqu’on on ne dispose pas d’insecticide autorisé à cet usage. Notre fenêtre de tir est très réduite.
De quels moyens disposez-vous ?
Nous avons des agents de terrain qui prospectent chaque jour dans les marais pour surveiller les mises en eau et identifier les éclosions et leur ampleur. Pour les traitements aériens, nous faisons appel à des moyens externalisés. Principalement quatre petits avions « jaunes » basés à Montpellier, et deux hélicoptères indispensables pour couvrir les importantes surfaces à traiter. Depuis peu, nous utilisons des drones qui permettent de traiter dans des zones difficiles d’accès. Ces interventions sont complétées par des traitements au sol, à pied ou avec des engins mécaniques. L’EID Méditerranée compte 150 agents.
« Sans la démoustication, vivre sur le littoral serait insupportable »
Les traitements sont-ils efficaces à 100 % ?
Non, et c’est le problème principal. Nous ne pouvons pas faire face totalement à la nuisance. Nous la réduisons à un seuil tolérable pour les 2 millions d’habitants des zones couvertes. Aujourd’hui, ce ne sont plus les mêmes insecticides qu’il y a 60 ans, ni les mêmes normes et quantités utilisées. L’efficacité moyenne est de l’ordre de 80 %. Mais sans notre travail quotidien, nous ne pourrions pas vivre sur le littoral, ce serait insupportable. Il faut rappeler qu’il y a 60 ans, la démoustication a été un préalable indispensable au développement touristique du littoral via la mission Racine. Nous nous sommes installés chez eux !
« Un bulletin météo « moustiques » hebdomadaire »
La démoustication a lieu tout au long de l’année ?
Le travail est en effet quotidien, avec des périodes plus chargées que d’autres, des phases de traitement, mais aussi de relevés, de contrôles... Les nuisances dues aux deux moustiques que nous régulons ont lieu toute l’année : d’octobre à mars pour l’Aedes detritus et d’avril à octobre pour l’Aedes caspius. Le combat est sans fin pour assurer une qualité de vie à nos concitoyens. Pour mieux les informer, nous avons également mis en place ces dernières années un bulletin météo « moustiques » hebdomadaire présentant la carte du risque des nuisances.
En plus des moustiques des marais, vous devez aujourd’hui faire face à un « moustique des villes », le moustique-tigre ?
Oui, le moustique-tigre, Aedes albopictus est arrivé sur nos territoires en 2004 (présent en Italie au début des années 90). C’est un moustique urbain. Il ne se déplace pas à plus de 200 mètres de son lieu de naissance (gîte larvaire). Mais il utilise les voies de communication, la voiture, le train… et a ainsi colonisé la quasi-totalité des départements de l’hexagone. On le trouve principalement en ville où il a de quoi se nourrir et se reproduire. Très adaptable, il suffit de quelques millilitres d’eau pour lui offrir son gîte larvaire. Il pique essentiellement le jour, surtout le matin et en fin d’après-midi. Il est très nuisant.
« Des gestes simples pour éviter la prolifération du moustique-tigre »
Pourquoi n’agissez-vous pas sur sa prolifération ?
Nous ne pouvons pas appliquer nos modes opératoires contre le moustique-tigre. Impossible de répandre du produit partout en ville ou de viser la multitude de gîtes potentiels sur le domaine privé. Notre rôle est avant tout d'investir dans la communication préventive auprès de la population concernée. Des gestes simples existent pour éviter sa prolifération. La participation de tous est nécessaire pour lutter efficacement en supprimant tous ses gîtes larvaires potentiels.
Quelles sont les actions de l’EID Méditerranée en la matière ?
Sur la Région PACA, nous nous chargeons également, pour le compte de l’ARS PACA dont nous sommes l’opérateur, de la lutte antivectorielle curative, ponctuelle et ciblée, pour empêcher la survenue d'une éventuelle épidémie transmise par le moustique-tigre. Le siège de notre organisme est basé à Montpellier où nous disposons de 1000 m2 de laboratoires de recherche. Nous menons des projets pour optimiser le contrôle des moustiques dans le cadre d’une stratégie d’utilisation raisonnée des biocides.
« Se couvrir de vêtements longs, amples et de couleurs claires »
Quelles sont les nouvelles techniques mises en place pour se protéger des moustiques ?
Les vieilles solutions individuelles restent efficaces ! À l’extérieur, se couvrir de vêtements longs, amples et de couleurs claires pour ne pas être piqué. Équiper de moustiquaires nos fenêtres et nos portes pour éviter qu’ils envahissent notre intérieur. Disposer astucieusement des ventilateurs sur sa terrasse et en direction de nos jambes complique fortement la tâche de ces petits insectes qui ne volent pas très bien. Les répulsifs – achetés en pharmacie – appliqués sur la peau assurent également une protection certaine tout en garantissant notre santé. Les pièges à moustiques contribuent dans certaines conditions à diminuer leur nombre, mais leur efficacité n’est pas toujours garantie. D’autres techniques à plus grande échelle comme celle de l’insecte stérile sont également en cours de développement. Pour les moustiques-tigres, la vraie solution aujourd’hui est de les empêcher de se reproduire en supprimant au maximum les lieux de ponte autour de chez soi.
(1) Baillargues, Castelnau-le-Lez, Clapiers, Fabrègues, Grabels, Jacou, Juvignac, Lattes, Lavérune, Le Crès, Montferriez-sur-Lez, Montpellier, Pérols, Saint-Brès, Saint-Georges-d’Orques, Saint-Jean-de-Védas, Vendargues, Villeneuve-lès-Maguelone.
(2) Bacillus thuringiensis ser. israelensis
L’EID Méditerranée est un service public, dont le financement et la gouvernance sont assurés par des collectivités territoriales : Départements, et par leur biais les communes bénéficiaires et Régions.
La Ville de Montpellier a ainsi contribué aux dépenses de fonctionnement 2024 de l'EID à hauteur de 427 000 euros.