Livre

"Je suis née sous X..."

13-01-24 - 12:00
Chaque année, en France, 600 enfants naissent « sous X ». C’est-à-dire qu’au moment de l’accouchement, la mère biologique s’assure de préserver son anonymat et enclenche une procédure d’abandon de son enfant. Véronique Papay, Montpelliéraine, 52 ans, fait partie de ces enfants sans identité. Adoptée à l’âge de 2 ans, elle ne découvre la vérité sur sa naissance qu’à l’âge adulte. Et après l’annonce traumatisante, commence une quête non moins solitaire et difficile pour connaître ses origines. Elle raconte aujourd’hui son histoire dans un récit publié aux éditions Jets d’Encre : « La fille de l’ombre, mensonges et vérité ».
Couverture du livre "La fille de l'ombre", illustration d'une femme se tenant la tête dans les mains.
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En Commun : À Montpellier, ces dix dernières années, une soixantaine d’enfants sont nés « sous x ».

VÉRONIQUE PAPAY : C’est surprenant ! Je pensais que cette pratique-là serait tombée en désuétude au fil des ans. Il faut croire que non, même si les termes ont un peu évolué. Autrefois on parlait d’enfants « trouvés ». C’était trop péjoratif. On a préféré utiliser le terme « né sous x », ce n’est pas mieux. Naître sous x, comme le terme ne le dit pas forcément, c’est un acte d’abandon. C’est une mère qui fait le choix volontairement après l’accouchement, de ne pas garder son enfant. Plusieurs raisons sont possibles : soit parce qu’elle n’en a pas la capacité financière, soit parce que l’enfant est né d’un inceste ou d’un viol. Sans oublier la catégorie des mères qui sont contraintes à cet abandon par leurs proches ou leur famille. Ce qui a été mon cas.

E.C. : Jusqu’à l’âge de 19 ans, votre histoire pourrait-être celle de n’importe quelle petite fille de votre époque ?

V.P.- Oui. Mes parents Odette et Gaby, sont arrivés en France en 1962, rapatriés d’Algérie. Mon père travaille dans le bâtiment. Ma mère est femme au foyer. Après leur arrivée, ils sont partis vivre en Alsace avant de revenir s’installer à Montpellier où je vais suivre ma scolarité. Tout se passe normalement, au milieu d’une famille aimante. Et lorsque je dis famille, j’entends le cercle large de mes oncles, tantes, cousins et cousines qui m’entourent de leur affection.

E.C. : Pourtant derrière cette image de famille « classique » se dissimulent de nombreuses tensions.

V.P.- Liées pour certaines aux conditions de leur arrivée en France. Avec le traumatisme de la guerre, du déracinement, la mort de la grand-mère de ma mère sur le quai d’embarquement. Mais causées aussi par la personnalité de ma mère, qui montre très tôt des signes d’instabilité. Avec de longues périodes d’hospitalisation, un comportement renfermé, agressif que ce soit avec moi ou avec mon père ; bref une mère totalement absente de mes projets de vie (parcours scolaire, etc).  

Véronique Papay dans les bras de ses parents le jour de son baptême
Véronique Papay et ses parents adoptifs, le jour de son baptême, le 21 octobre 1973 - ©DR

E.C. : Jusqu’à ce jour de septembre 1991 où votre père vient vous trouver alors que vous êtes occupée dans la salle à manger de l’appartement familial.

V.P.- Oui, il vient vers moi le regard figé. Et il me dit : « Véronique, il faut que je te dise quelque chose d’important. Tu n’es pas notre fille, tu as été adoptée. Mais je t’aime comme ma fille ». Après cette déclaration il part pleurer dans sa chambre. Ma mère, reste glacée. Quant à moi, le monde que je connaissais vient de s’écrouler.

E.C. : Pourquoi cette annonce-là ? A ce moment ? Que s’est-il passé ?

V.P.- Je ne sais pas. Il reste dans mon histoire plusieurs zones d’ombres et le pourquoi de cette révélation en fait partie. Curieusement, cependant, elle intervient peu de temps après que je sois partie pour la première fois en vacances, seule avec des amis, en Espagne. Que s’est-il passé en mon absence ? Je ne sais pas. Au téléphone, lorsque je les appelais, je sentais mes parents perturbés. J’ai parlé des tensions familiales, mais à l’époque il n’y avait pas de raison de heurts. Vivaient-ils mal mes souhaits d’émancipation ? Pas plus que ça. Je vivais la vie d’une adolescente plutôt sage, sans exigence particulière.

E.C. : Comment recevez-vous cette nouvelle ?

V.P.- C’est le moment le plus tragique de ma vie. Comme je vous l’ai dit, pour moi, un monde s’écroule. Et pourtant, intérieurement, je dois reconnaître que je ne suis pas étonnée. Il y avait beaucoup de questions que je ne m’expliquais pas. Pourquoi j’étais la seule blonde de la famille à la peau claire, alors que tout le monde était brun à la peau mate ? Pourquoi lorsque je m’étonnais que mes parents n’aient pas gardé de photos de moi étant bébé, ma mère me répondait toujours : « on n’était pas très photo à l’époque ! » De nombreuses incohérences qui auraient dû éveiller ma curiosité. Mais, soit par peur de savoir, soit par envie de me protéger, je n’avais jamais été au-delà. Et puis j’adorais mes parents, je leur faisais une confiance totale.

E.C. : Vous découvrez pourtant à ce moment-là aussi, qu’autour de vous, vos parents ont instauré un véritable pacte du silence.

V.P.- Oui, je découvre en même temps que je suis une enfant adoptée et que tout le monde, sauf moi, en était informé. Et cette révélation s’accompagne de la part de ma mère d’une exigence supplémentaire pour m’obliger à maintenir le secret autour de moi. Je ne dois en parler à personne, on fait changer le numéro de téléphone, je n’ai plus le droit de sortir de chez moi. Une situation tellement difficile et violente, que je décide de rompre tous les ponts avec ma famille adoptive. Et donc de partir à la recherche de mes parents biologiques.

Article de journal où Véronique Papay lance un avis de recherche
Publication d'un premier avis de recherche dans l'Hérault du Jour - ©DR

E.C. : Quels moyens alors s’offrent à vous pour cette recherche ?

V.P.- Ma première démarche consiste à demander l’ouverture de mon dossier conservé par l’Aide Sociale à l’Enfance. Mais il est très maigre. Je n’y trouve que le procès-verbal d’abandon, signé par ma mère biologique sous un prénom d’emprunt. Le prénom qu’elle avait souhaité me laisser. Sa volonté que je sois baptisée dans la religion catholique. Et c’est à peu près tout… A cette époque je me suis engagée dans le mouvement associatif du CADCO* (Coordination des Actions pour le Droit à la Connaissance des Origines) dont j’ai créé une antenne régionale. Et je profite de cette plateforme pour lancer un appel aux medias, dans les journaux, sur une chaîne de télévision, en vue de recueillir des informations sur ma mère biologique.

E.C. : Commence alors ce que vous présentez comme une véritable enquête policière.

V.P.- Absolument. Je n’ai pas les moyens de m’offrir les services d’un enquêteur alors je me dis que je peux très bien me débrouiller seule. Et un mois après mes premières démarches, je reçois un appel téléphonique très étrange. Une dame qui prétend rechercher sa mère, mais dont les propos se contredisent parfois, et qui semblent plus intéressée par mon histoire personnelle que sa recherche à elle. Jusqu’à un message laissé un jour sur mon répondeur qui me pousse à prendre un billet de train pour aller à sa rencontre…

E.C. : Laissons un peu de mystère aux lecteurs de votre livre et portons-nous quelques années plus tard. Vous êtes mariée, vous avez deux filles. L’expérience de la maternité vous place-t-elle dans une position différente pour regarder votre histoire personnelle ?

V.P.- Devenir mère à mon tour a été une joie immense et une revanche sur la vie formidable. J’y ai aussi trouvé la possibilité d’une certaine compréhension. Pas de l’abandon, mais en tous cas de la détresse que ma mère biologique a pu ressentir, après m’avoir porté pendant neuf mois. J’étais moins en colère à son égard, et j’avais entretemps récupéré des informations qui me permettaient de penser qu’elle n’avait pas eu trop le choix. Mais en revanche, cette maternité a ravivé une ancienne blessure, avec ce besoin de dire à celle qui m’avait enfantée, que j’étais devenue mère à mon tour.

Photo de l'auteur, Véronique Papay
Véronique Papay : "Écrire ce livre a été une expérience très salutaire." - ©DR

E.C. : Aujourd’hui vous écrivez ce livre. Vous auriez pu vous contenter d’un récit destiné au cercle familial. Pourquoi le porter devant le grand public ?

V.P.- À titre personnel, écrire ce livre a été une expérience très salutaire. Il m’a permis de poser et mieux comprendre certains moments de ma vie. Je voulais que mon entourage prenne la mesure de ce que ma situation d’enfant abandonnée m’avait contrainte de vivre.  Je voulais aussi apporter une pierre à l’édifice, et témoigner sur la nécessité de faire évoluer la loi, pour en finir avec les situations de détresse causées par ce dispositif de « naissance sous X ». Il est possible, comme au Royaume-Uni, d’encourager des procédures plus discrètes. Qui préservent le droit des parents qui ne souhaitent ou ne peuvent prendre en charge leur enfant, sans l’empêcher à un moment de sa vie, de lui permettre de connaître ses origines. En 2002, la création du CNAOP* (Conseil National d’Accès aux Origines Personnelles), facilitant l’accès aux origines personnelles des personnes nées dans le secret de l’identité de la mère, est un pas en avant, mais qui à mon sens ne va pas assez loin. Je voulais enfin donner des clés à tous ceux qui vivent ou ont vécu une expérience comme la mienne. Et en livrant les épreuves que j’ai traversées, leur dire qu’il y a toujours une possibilité de les surmonter, pour se construire et avancer. 

À lire : La Fille de l’Ombre, Mensonges et vérité. Auteur : Véronique Papay. Editeur : Editions Jets d’Encre. 

>>> Plus d'infos

Page Facebook CADCO (coordination des actions pour le droit à la connaissance des origines)

CNAOP (conseil national d’accès aux origines personnelles) 

 

Accouchement sous X

« Une femme enceinte peut décider d’accoucher sous X, c’est-à-dire anonymement, que ce soit dans un établissement public (hôpital) ou privé (clinique), conventionné ou non. Pour accoucher sous X, la patiente doit informer l’équipe médicale de l’établissement de santé de son choix. L’enfant sera alors confié à l’aide sociale à l’enfance (Ase) pour une éventuelle adoption. Toutefois, la mère peut revenir sur son choix et récupérer son enfant dans un délai de 2 mois ». service-public.fr