En Commun : Comment définit-on l’espèce montpelliéraine ?
Didier Morisot : Il y a deux séries d’aspect à prendre en compte : historique et botanique. Le XVIIe siècle est celui de la compilation des savoirs. Près de 6 000 plantes sont déjà référencées au sein d’une flore mondiale que bâtissaient des savants passionnés. Le problème était de bien les classer. Le suédois Carl Linné va simplifier la classification. Avant lui, les plantes étaient nommées de façon très compliquée. Le cytise de Montpellier, par exemple, était appelé Cytissus monspessulanus medicae folio siliquis dense congestis & villosis. Le contemporain montpelliérain de Linné, qui s’appelait Boissier de Sauvage et détenait la prestigieuse chaire de botanique à l’université, fustige ces botanistes qui, tels des perroquets, vieillissent à apprendre par cœur des noms interminables et stupides. Il se moque d’ailleurs du Ciste second ayant la feuille de la blanche pute, de l’Ecluse ! Avec son Species Plantarum, édité en 1753, Linné devient la référence des botanistes. Les noms sont fixés.
En Commun : Sur quoi se base Linné pour désigner 18 espèces de plantes comme montpelliéraines ?
Didier Morisot : Linné ne les a jamais vues. Enfermé dans sa maison d’Uppsala, bordant un fjord, il a une connaissance livresque de ces plantes. Il se base sur les travaux passés, notamment ceux de Pierre Magnol, et sur son réseau épistolaire à travers toute l’Europe. À Montpellier, Boissier de Sauvage lui envoie régulièrement des spécimens de plantes poussant dans la région. Les deux hommes, de la même génération, se sont écrit pendant près de trente ans, développant une profonde estime réciproque.
En Commun : Ces plantes montpelliéraines poussent-elles uniquement autour de Montpellier ?
Didier Morisot : Non, pas du tout. On les trouve sur le bassin méditerranéen mais aussi plus au nord. Ce sont des plantes de garrigues, qui s’installent soit sur des sols très caillouteux, comme la trigonelle ou le ciste, soit sur des sols calcaires argileux, humides l’hiver. Linné a attribué le nom de Montpellier à des plantes qu’il n’avait jamais vues dans leur milieu naturel. Cela l’a conduit à croire « montpelliéraines » certaines plantes qui ne l’étaient pas, comme l’œillet de Montpellier, qui pousse sur les Pyrénées ou la potentille qui est davantage une plante arctique. Sur les 18 plantes baptisées par Linné, 14 avaient déjà une appellation associant Montpellier. L’érable est l’unique arbre de la liste.
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En Commun : D’autres villes de la région donnent-elles leur nom à des plantes ?
Didier Morisot : Il y a la ptérothèque de Nîmes, une mauvaise herbe tapissant le sol des vignes au printemps ou la vesce de Narbonne, présente sur les coteaux et les pelouses. Louis Emberger, directeur de l’Institut de Botanique de Montpellier, dans les années 50, affirmait que celles nommées en l’honneur de Montpellier étaient les plus nombreuses. D’autres plantes portent le nom de Montpellier, donné par certains auteurs qui ont voulu mettre la ville à l’honneur. C’est le cas de la cardoncelle. Aux États-Unis, dans l’État du Vermont, la ville de Montpellier a donné son nom à une ronce.