En internat au lycée Clemenceau, une amitié se noue entre la lycéenne Noëlle Vincensini (No), 17 ans, et un trio d’étudiantes de l’école normale d’institutrices : Paulette Bertholio (Poune), 20 ans, Jeanne Bleton (Nane), 20 ans, et Josette Peyre (Jotte), 21 ans. Elles sont pleines de joie de vivre. Leur jeunesse révoltée défie les temps obscurs et elles rejoignent la Résistance. Leur activité clandestine commence par la distribution de tracts, jusqu’à la livraison d’armes vers le maquis cévenol ou entre Narbonne et Nîmes. Noëlle est membre des francs-tireurs et partisans français, le trio fait partie de l’Armée secrète. Avec d’autres camarades, elles sont arrêtées par la Gestapo dans leur planque aux Aubes, le 20 juin 1944. Elles ne sont pas ménagées et passent de sales moments à la villa des Rosiers ou à la prison de la 32e.
Une incroyable solidarité
Au printemps 1944, les voici placées dans des wagons à bestiaux pour un voyage vers l’enfer. Direction le camp de concentration de Ravensbrück. Puis, elles se retrouvent dans un kommando de travail à Neubrandenburg. « Je ne vais pas épiloguer sur toutes nos misères, écrit Jotte le 27 février 1945 à Nane, pour son anniversaire, mais je veux te dire que je connais toutes les tiennes. » Au camp, les aînées les ont surnommées « Les 4 petites de Montpellier ». Grâce à leur incroyable solidarité, elles ont pu tenir le coup contre la faim écrasante, le froid cinglant, la puanteur insupportable, les poux, la brutalité des “Offizierin”, le travail forcé pour l’usine Siemens, l’odeur de la mort et le manque de sommeil. « Réveil brutal en pleine nuit par la sirène sous prétexte d’une “fouille” au block. Et c’est l’Appellplatz sous la lune, quand ce n’est pas sous la pluie ou la neige. De vrais déments, ces SS », se souvient Jeanne. La défaite arrivant, les Allemands conduisent les déportées dans une marche de la mort. Presque à bout de forces, mais revigorées par un morceau de sucre tendu en chemin, elles réussiront à s’évader en avril 1945. Méconnaissables mais debout ! Elles sont restées liées toute leur vie, mais n’ont rien raconté de l’horreur à leurs proches. Noëlle, Jeanne et Josette ont laissé des écrits. « Je me sentais une responsabilité d’en faire quelque chose et de reconstituer leur histoire en un livre. La résistante Germaine Tillion aussi était à Ravensbrück », confie Yves Baudier, dont le père était cousin de Jeanne. Ces « 4 petites de Montpellier » doivent rester dans nos mémoires.
>>> Pour plus d’informations lire également : https://uncertainvoyage.fr/
Un certain voyage, le livre que nous avons publié en 2020 avec Renaud Dubois, mon frère, Mariette Barraud et Yves Baudier, fille et petit-cousin de Jeanne Bleton, est composé du manuscrit de Jeanne et de lettres de ma mère. J’avais 29 ans quand elle est décédée en 1984. Je suis allé à plusieurs reprises à Ravensbrück, la première fois en 1972, un lieu saisissant d’effroi où des milliers de femmes sont parties en fumée. À mon retour, malgré mes questions, elle n’a rien voulu dire. J’ai découvert ses lettres et la femme militante qu’elle était longtemps après sa disparition. Mon rapport à la déportation est engagé, mon père lui aussi fut déporté à Dachau. Durant le Covid, j’ai exhumé des archives et entrepris des recherches. Mariette, la fille de Jeanne, m’informe que son cousin Yves Baudier s’était lancé dans un travail identique. De nos démarches conjointes est né cet ouvrage. Il est aussi en libre accès sur Internet avec des compléments. Le besoin de transmettre s’est imposé à moi. J’ai pensé à mes enfants et petits-enfants. C’est une histoire dont il faut se souvenir, surtout en ces temps où les bruits de bottes résonnent à nouveau en Europe.