C’est à n’en point douter la plus ancienne boutique familiale de l’Écusson. Au bas de la rue Saint-Guilhem, la maison Bernadas est tenue par la même lignée depuis 1869 avec quatre générations. Embauchée dès 1983, gérante en 2004 après le décès de son oncle Jacques Couget-Bernadas, Catherine Bancarel prolongeait cette saga originaire de Saint-Plancard, dans le Comminges. Ce magasin de confection est toujours resté dans son jus et cela a fait son charme et sa notoriété, à l’image des bars au sol, de l’inscription au mur (chemises sur mesure) ou de la banque et des vitrines en bois. « Du temps de mon arrière-grand-père, ce n’était pas du tout le textile mais un garage où il fabriquait des tamis, des tambourins… Ce sont mes grands-parents qui se sont mis au linge de maison, aux trousseaux et tout le reste », commente Catherine Bancarel qui partira en retraite à la fin février.
Le fouillis
Avouant « un petit regret » que sa fille n’ait pas pris la suite, elle ajoute aussitôt : « il faut avoir l’âme commerçante et aimer le contact avec les gens. La boutique, je l’ai toujours connue. De formation, j’étais monitrice éducatrice d’enfants handicapés. Mais j’ai été maman jeune et, au décès de mon grand-père, j’ai demandé à mon oncle si je pouvais travailler avec lui. Il était vieux garçon et le magasin, c’était tout pour lui. Il avait même gardé des piles de factures comme un mausolée ». Pour autant, les anciens clients confirment que ce n’était pas aussi bien rangé qu’aujourd’hui. La maison Bernadas était alors surnommée « le fouillis ». Jacques Couget-Bernadas était en revanche très exigeant sur la qualité, il ne fallait pas vouloir lui faire la maille à l’envers. « À 77 ans, il se tenait encore au fond du magasin et, même si les clientes venaient naturellement vers moi, il me disait encore : tu pourrais au moins me laisser vendre le linge de maison. Mais il ne fallait rien toucher ! Quand j’ai installé les commodités et refait la devanture, il s’inquiétait que la clientèle ne reconnaisse pas le magasin. » Depuis, bien des clientes sont devenues des amies.
L’esprit du lieu
D’ici quelques semaines, l’enseigne changera de nom, l’acheteur est un créateur installé à Arles. Catherine Bancarel est heureuse car les futurs propriétaires vont garder l’esprit du lieu et les enseignes phares comme Armor Lux ou La laine des Pyrénées. « Les repreneurs sont venus un jour où je faisais une braderie. Ils avaient trouvé le magasin très chaleureux et m’avaient laissé leur carte. Ils vont apporter leur patte mais respecter l’identité. Je ne pouvais pas rêver de mieux. » La gérante aime ce magasin dans lequel elle se sent toujours bien et se dit « porter par les anciennes générations ». Et elle regorge d’anecdotes. Comme celle du client qui s’en remettait à son pendule pour faire les bons achats et avait repéré une vieille valise sur une étagère en disant qu'elle avait contenu des documents importants. Ou cette dame qui est venue en disant un jour : « ma mère a travaillé chez vos grands-parents et elle a marqué sur un mur la date de son mariage ». C’était vrai car ce crayonné a été retrouvé ainsi que quelques autres. « Il ne faut pas les effacer ! ».
La façade en feu
Chez Bernadas, l’heure n’est plus à la confection de robe pour le deuil ou le demi-deuil mais, même en cette période de rabais, on met en avant la modernité des marques. « J’ai une clientèle de jeunes hommes qui en ont marre d’avoir un pull qui peluche au bout de quatre jours et qui vient en acheter un qui tient la route ». La maison Bernadas n’a connu qu’une grosse frayeur. C’était pendant la crise des gilets jaunes lorsqu’un malin a cru bon, un samedi après-midi de défilé, de lancer un cocktail molotov sur un véhicule de la police municipale en station devant la boutique. « Toute la façade a pris feu mais cela aurait pu être pire. J’ai reçu beaucoup d’appels de soutien. Même du préfet. » La page est tournée mais la gérante viendra encore de temps à autre.