Patrimoine

Un hiver chez les Platter

22-12-23 - 09:00
Le "Journal des frères Platter" dresse la chronique de deux étudiants suisses, venus à Montpellier pour étudier la médecine, au milieu du XVIe siècle. Extraits des pages hivernales.
Le journal des frères Platter
©D.R.
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"Il n'y eut presque pas de froids pendant tout ce mois de décembre. On ne voyait ni glace ni neige, comme chez nous. On se chauffe à la flamme du foyer commun, ou bien les étudiants brûlent du romarin, qui donne une belle flamme et répand une bonne odeur. Les chambres sont tenues bien fermées. Les fenêtres ne sont d'ailleurs que des châssis garnis de papier en guise de vitres". C'est ainsi qu'en son journal, Félix Platter consigne les souvenirs très vifs qu'il garde de son premier hiver à Montpellier, en 1552.

Fils d'un ancien chevrier, devenu maître d'école à Bâle (Suisse), il était venu poursuivre à la Faculté de médecine les rêves paternels d'ascension sociale. Rêvant peut-être, un jour, de pouvoir aller à cheval par les rues, comme tous ces vénérables médecins qu'il avait pu, enfant, admirer et envier. 

Vue de Montpellier, vers 1579
Vue de Montpellier, vers 1579 - ©Archives de Montpellier. Côte : 3Fi26

Un jeune homme de 15 ans

Le journal rédigé tout au long de ses cinq années d'études (1552-1557) offre un portrait inégalé de la vie montpelliéraine au XVIe siècle. La ville, encore catholique, ne va pas tarder à basculer dans la Réforme. Installé chez son maître, l'apothicaire Cathalan, le jeune Félix, âgé de seulement quinze ans, s'étonne des préparatifs pour les fêtes de Noël. Le 24 décembre, les vitrines des marchands sont décorées de cierges de diverses couleurs, qu'on allume cette nuit-là. Comme il est luthérien, il n'assiste pas à la messe de Noël et éprouve un peu de tristesse. "Quand je me vis seul dans cette immense maison, j'eus grand peur. Je me réfugiai dans mon cabinet de travail, qui se trouvait tout au haut de la maison et qui était une simple petite loge en planches. Je m'y enfermai avec une lampe et j'y restai jusqu'au retour de la messe, en lisant dans un vieux Plaute la comédie d'Amphitryon". 

Gravure représentant un repas à table, avec deux hommes en pourpoint, assis.
"Après souper, on y danse aux flambeaux..." - ©D.R.

Heureusement, les fêtes de la nouvelle année lui apportent réconfort et réjouissances. "Commencèrent toutes sortes de divertissements, et en particulier des sérénades galantes, données la nuit devant les maisons. Les instruments de musique étaient les cymbales, le tambourin et le fifre, le même musicien jouant des trois instruments à la fois ; le haut bois, qui était très commun, la viole et la guitare qui étaient dans leur nouveauté. Les riches bourgeois donnent des bals où l'on mène les demoiselles. Après souper, on y danse aux flambeaux le branle, la gaillarde, la volte, la tire-chaîne, etc. jusqu'au matin. Ces bals ne prennent fin qu'avec le dernier jour de carnaval"

Fêtes et bateleurs

Études, jeux, richesses, travaux, monuments... Rien n'échappe à l'oeil curieux et toujours indulgent de Félix. On frissonne cependant aux nombreux récits d'exécutions publiques ou aux scènes d'autopsies qui semblent alors fasciner la société montpelliéraine. Plusieurs fois, le journal vire au lugubre. Comme cette description d'un soir de décembre 1554 où les futurs médecins, toujours désireux de s'instruire, organisent une expédition au cimetière, afin d'aller déterrer quelques corps sur lesquels s'exercer. Leur mission accomplie, ils se régalent d'une poule au chou. "Nous avions cherché nous-même le chou dans le jardin et nous l'avions apprêté avec un vin excellent".

Vue de la cathédrale Saint-Pierre et Ecole de Médecine (détail)
Cathédrale Saint-Pierre et l'école de médecine. Gravure. - ©Musée Fabre Montpellier Méditerranée Métropole

Le dernier hiver passé à Montpellier, Félix l'emploie à préparer ses caisses remplies de livres, de squelettes, de poissons de mer. C'est qu'il se prépare déjà à rentrer vers Bâle, où sa fiancée et une belle carrière l'attendent. Pour fêter son départ, ses amis lui servent un pâté préparé à base de chat. "J'en fus médiocrement satisfait". Le 6 janvier, il avait eu le plaisir d'assister à un spectacle de bateleurs venus à Montpellier. "Après avoir exécuté des sauts prodigieux, ils firent battre un lion avec un boeuf de taille moyenne, qu'ils avaient acheté et auquel ils avaient scié le bout des cornes". 

Félix et son épouse n'auront pas d'enfant. C'est donc à son vieux père d'assurer la postérité de leur nom. Ce dernier, à 73 ans, se remarie alors et engendre six garçons et filles. L'un d'entre eux, Thomas, viendra à son tour à Montpellier, de 1595 à 1599, clore un chapitre entamé par son frère plus de trente ans auparavant. 

 

>>> Lire le journal en ligne sur le site Memonum du réseau des Médiathèques

À lire : 

Le siècle des Platter d'Emmanuel Le Roy Ladurie. Éditions Fayard

Portrait de Félix Platter par le peintre Hans Bock le Vieux
Félix Platter (1536 - 1614), par Hans Bock le Vieux (Kunstmuseum Basel)