Qui êtes-vous Tiphaine Calmettes ?
Tiphaine Calmettes : Je suis artiste plasticienne et je fais principalement de la sculpture. J’ai été diplômée de l’école des Beaux-Arts de Bourges en 2013. Je travaille chez moi dans la campagne d'Aix-en-Provence et mon atelier à Marseille. J’ai été invitée à Lattara pour cette collaboration avec le MO.CO et le musée Henri-Prades. Mon exposition d'art contemporain Faire fleurir le salon en dialogue avec la collection permanente du site archéologique Lattara-musée Henri Prades est à voir jusqu'au 13 mai.
Votre travail se situe à la croisée de l’art, du design et de l’artisanat...
Concernant ma pratique, ce qui m’intéresse depuis plusieurs années, c’est la dimension utilitaire et fonctionnelle des objets afin de pouvoir créer une relation entre les objets et les visiteurs des expositions. Cette dimension d’accueil m’est chère. Ils peuvent s'asseoir sur les sculptures. Dans mes dernières expositions, il y avait la possibilité de boire ou de manger des choses. Les sculptures deviennent ainsi des contenants de comestibles, des assises, mais aussi des ustensiles, des mugs, des cuillères pour manger... Malheureusement, cela ne se prêtait pas au contexte du Musée de Lattara. Mais cette idée utilitaire reste au centre et amène mon travail à la croisée de l’art, du design et de l’artisanat.
Quel type de matériaux travaillez-vous avec votre équipe ?
Ce qui m’intéresse c’est de travailler des matériaux proches du paysage, c’est-à-dire des matériaux bruts, les moins transformés possible. Au musée archéologique Henri-Prades, j’ai fait le choix d’utiliser de la céramique avec des cuissons au four à bois, du mobilier en bois et de la cire d’abeilles pour certains éléments comme les paravents ou les abat-jour. Cela m’a demandé d’apprendre petit à petit différents savoirs faire. Je pratique la céramiques depuis plusieurs années maintenant et la sculpture sur bois depuis seulement un an.. Concernant les techniques de cuisson, j’utilise une cuisson à haute température alors que les objets du musée ont été cuits à basse température. La région est une terre de faïence, alors que moi je travaille le grès qui vient d’autres régions. Concernant la menuiserie, nous utilisons un mélange d’outils anciens manuels, comme la scie, la gouge ou le ciseau à bois, mais aussi des outils électroportatifs.
Vous utilisez des techniques contemporaines ?
L’idée c’est que je dois m’adapter à un temps de production qui n’est pas extensible et que les techniques manuelles demandent un temps très important. Donc il y a une adaptabilité avec les moyens contemporains qui m’intéresse. Je ne suis pas anti évolution, ce n’est pas mon sujet. Mais par contre, il m’est important de travailler avec des matériaux bruts. Les chaises sont en bois massif, en tilleul.. Nous avons acheté des plateaux de tilleul dans lesquels ont été débités les morceaux de bois. Je donne une importance à l’essence, à la fibre du bois, à avoir cette présence dans le mobilier, plutôt que d’avoir du béton ou du plastique.
Où en est votre réflexion artistique, votre rapport à l'objet ?
En fait, ma réflexion porte aussi aujourd’hui sur la façon dont les objets nous influencent. Notamment à l’heure de la crise écologique et de la crise du sensible. Il me semble qu’il y a eu un appauvrissement dans la forme des objets et dans leur matérialité. C’est-à-dire que si l’on prend pour exemple les appartements des immeubles récents avec du placo et du mobilier de la célèbre chaîne suédoise, on est dans des formes tout à fait standardisées. Lissées, géométriques, et remplaçables qui ne nous permettent pas de développer une forme d’attachement. Cela nous renvoie constamment à l’environnement humain et industrialisé de la modernité. L’idée est de remettre des formes de vie au sein de nos intérieurs, qui nous permettent aussi de raviver (à mon sens) une sensibilité, , une forme de considération, de respect et de soin envers les choses et les objets qui nous entourent. Je me dis que si cela permet de recréer une forme de considération pour le non vivant, cela pourra peut-être de manière un peu plus large, recréer une forme d’attention et de conscience des autres. Cela passe aussi par les formes qui font référence à la question du vivant. C’est pour cela que l’exposition s’appelle Faire fleurir le salon et que l’on retrouve des motifs de l’ordre du floral et du zoomorphe, comme il était d’usage dès les temps primitifs. Effectivement, au sein du musée archéologique, on retrouve ces formes florales, zoomorphes et anthropomorphes. Il y a cette idée d’animation des objets du quotidien.
Parlez-nous de l'installation créée autour de la maison gauloise ?
L'installation autour de la reconstitution de la maison gauloise a été entièrement créée pour le lieu et l’exposition : les trois chaises, le tabouret, le lampadaire, les deux paravents et l’ensemble de céramiques. J’ai fait quelques clins d’œil avec des objets de la collection du musée. Le petit tabouret en céramique reprend les formes d’un guéridon situé à l’étage. Je n’avais pas envie de mêler mes objets sous les vitrines, comme cela peut se faire. Ce qui m’a intéressée ici, c’est cette notion d’archéologie expérimentale, où des maisons, du mobilier de l’époque sont recréés à Lattara avec une réhabilitation des savoir-faire ancestraux dans l’époque contemporaine. J’avais envie de continuer cette idée là en meublant cette maison gauloise, mais avec du mobilier que j’aurais pu imaginer pour chez moi. C’est vrai que le musée archéologique est constitué des vestiges d’objets qui étaient dans les espaces quotidiens des gens. J’ai eu envie de jouer avec cela et faire comme de l’archéologie à l’envers. Faire des objets pour chez moi, que je pourrai récupérer après l’expo. Cela déjoue cette notion d’archéologie tout en restant dans cette idée d’objets d’usages pratico-pratiques pour l’espace domestique.