"Jean-Paul est cet enfant de la terre d’Algérie, né dans une famille modeste et aimante, ce petit garçon de Boufarik et de la plaine de Mitidja : cette Algérie qu’il a gardée au cœur, et qu’il évoquait si souvent et avec tant d’intelligence et d’émotion. Cette Algérie qu’il verra se soulever et gagner son indépendance, et qu’il devra quitter. Il est cet adolescent découvrant la métropole et Lyon, où sa famille s’installe en 1962, ce jeune homme bien de son temps épris de philosophie et de littérature, qui s’initie au chinois, découvre le cinéma et le théâtre, se passionne pour les créations de Planchon et Chéreau. Déjà, il sait que sa vie sera vouée à la scène : « Je n’en suis jamais sorti. Mon monde était là », écrira-t-il encore récemment.
Un homme engagé
Il est cet étudiant engagé qui découvre la joie et la fraternité des luttes en mai 68, ce militant qui fonde en 1975 le Groupe de libération homosexuel de Lyon : le courage des convictions, déjà. Ces mêmes convictions qui l’amèneront, une décennie plus tard, à incarner ici la lutte contre le SIDA.
Chez lui, la vie, la politique et l’art sont intimement liés ; à la même époque, il intègre le Centre dramatique national de Lyon, en devient le programmateur pour la danse, invite Maguy Marin, Dominique Bagouet, d’autres encore, lance à Villeurbanne Viva, un festival de danses et de musiques extra-européennes. Il ne sait pas encore que son destin va s’écrire plus au sud, tout près de cette Méditerranée dont il est l’enfant.

Des rencontres qui ont changé sa vie
Il y a des rencontres qui changent une vie. Qui changent une ville. Celle de Jean-Paul Montanari avec Dominique Bagouet, dont il devient l’ami et le conseiller. Celle de Dominique Bagouet avec Georges Frêche, Maire de Montpellier, qui l’invite à créer, en 1980, le Centre chorégraphique. Ensemble, ils vont inventer le plus beau festival de danse au monde, qui célèbre chaque année les noces renouvelées de notre ville et de l’art chorégraphique. La suite est bien connue et appartient à l’histoire.
Il a accueilli les plus grands noms de la danse
Jean-Paul Montanari a éveillé nos regards. Il nous a appris à regarder la danse, patiemment. Avec lui, nous avons compris que « tous les corps sont des corps politiques. » Nous lui devons d’avoir été bouleversé, ému, parfois choqué, par les créations d’artistes venus du monde entier. Il a programmé et a accueilli ici les plus grandes, les plus grands : Trisha Brown, Merce Cunningham, William Forsythe, Ohad Naharin, Angelin Preljocaj, Anne Teresa De Keersmaeker, Emanuel Gat... Et Raimund Hoghe, ce véritable « chamane », pour reprendre le mot de Jean-Paul, disparu en 2021 et dont une place de notre ville porte depuis le nom.
Générosité et exigence
Jean-Paul Montanari rappelait sans cesse que rien ne s’obtient sans effort. On n’entre pas dans la danse comme en variétés. L’art se conquiert et cet apprentissage demande du temps, de la bonne volonté : cela demande d’être exigeant envers soi-même. Il détestait la facilité, la complaisance, la paresse intellectuelle. Sa générosité réelle, envers les artistes, le public, ses amis, allait de pair avec une réelle exigence.

Un héritage immense pour la ville
Il s’est battu toute sa vie, au service d’un seul maître, la danse. Il s’est battu ces derniers mois contre une terrible maladie, avec courage, dignité et avec cet humour, brillant et vif, parfois mordant, qu’il savait aussi diriger contre lui-même. Il aura eu le temps d’accompagner la création de la Nouvelle Agora de la danse, qui réunit désormais Montpellier Danse et le Centre Chorégraphique National : son héritage, ce qu’il lègue à notre ville, est immense.
"Ne faire confiance qu’aux artistes, les seuls à savoir transfigurer l'horreur en beauté"
Comme immense est notre peine aujourd’hui. Jean-Paul, c’était Montpellier : son enthousiasme, sa confiance en la jeunesse, son ouverture au monde, son sens de l’hospitalité, sa curiosité jamais prise en défaut, sa tolérance ; et aussi, ses emportements, le caractère parfois tranchant de ses affirmations, une émotivité contagieuse. Il était à lui seule une institution, que ses détracteurs aimaient contester. La statue du commandeur qui en effrayait plus d’un. Cela l’amusait d’ailleurs beaucoup. Mais, couvert d’honneurs, il est resté jusqu’au bout fidèle aux rêves du petit garçon de Boufarik, du jeune homme engagé et ardent faisant son apprentissage dans la capitale des Gaules, de l’ami de Dominique Bagouet ; fidèle à une promesse, comme une invitation, qu’il rappelait encore dans son discours de réception des insignes de Commandeur des Arts et des Lettres : « Ne faire confiance qu’aux artistes, les seuls à savoir transfigurer l'horreur en beauté. »
C’est cette promesse que je veux garder en moi alors que cette nouvelle me plonge dans une tristesse infinie."