Cambacérès (1/6)

Cambacérès, de père en fils

09-03-24 - 12:00
19-09-24 - 09:42
À l’occasion du bicentenaire de sa mort, En Commun propose de partir, en cinq épisodes, à la découverte de Cambacérès, grand serviteur de l’État. Le Montpelliérain dirigea la France pendant 15 ans. Véritable Premier ministre de Napoléon, architecte du Code civil, Jean-Jacques Régis Cambacérès accompagna l'aventure impériale, après avoir survécu aux excès de la Terreur. Le personnage est peu connu.
Blason des Cambacérès
D'or au chevron de gueules accompagné de trois roses de même, deux en chef et une en pointe - Blason des Cambacérès
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Au milieu du XVIIIe siècle, les Cambacérès peuplent les beaux hôtels particuliers de Montpellier. Ils appartiennent à la noblesse de robe, octroyée aux familles de magistrats depuis trois générations. Antoine Cambassédès, le modeste laboureur protestant cévenol, descendu du Vigan 200 ans plus tôt, avait implanté une dynastie de juristes. La famille possède à présent un blason et de judicieux mariages ont élargi son réseau, ses fréquentations et ses goûts. Le père de Cambacérès est conseiller à la Cour des Comptes du Languedoc. Et si un lointain cousin réside dans le confortable hôtel particulier de la place de la Canourgue, Jean-Antoine, moins fortuné, se contente de louer une demeure, sur la place Chabaneau. 

Place Chabaneau, Montpellier, XVIII e siècle.
Place Chabaneau au XIXe siècle. La maison natale de Cambacérès, à gauche, est séparée de l'hôtel de l'Intendant par une arche - © Archives de Montpellier

C’est là que Jean Jacques Régis voit le jour le 18 octobre 1753. Il est le 10e enfant, les neuf précédents étaient morts en bas-âge. Un autre fils, Etienne-Hubert (futur archevêque), nait trois ans plus tard. Tous les deux sont baptisés à la cathédrale saint Pierre. Les Cambacérès sont devenus des fidèles catholiques, depuis leur abjuration de la religion réformée en 1685. Jean-Antoine a suivi la coutume montpelliéraine, en choisissant les parrains et marraines de ses fils parmi les orphelins de l’Hôpital général. C’est pour lui l’occasion de généreux dons. Une charité qui s’exerce également au sein de la confrérie des Pénitents blancs que Jean Jacques Régis rejoint à 10 ans. À l'orée de la Révolution, 30 000 personnes vivent à Montpellier qui est une place financière et un nœud commercial international. La capitale des États du Languedoc rayonne également par la qualité de son université dans le domaine du droit et de la médecine qui attirent étudiants et professeurs de toute l’Europe. 

Le fils du maire

En 1753, le marquis de Castries, gouverneur de la ville, nomme Jean-Antoine, maire de Montpellier. Le choix est judicieux pour remettre de l’ordre dans les finances de la ville. L'homme est  probe et compétent. Dans cette haute bourgeoisie, parfois peu scrupuleuse, Jean-Antoine, revêtu de la robe cramoisie de maire de la ville, tient à conserver son intégrité.  Cet homme déroutant, en concubinage depuis la mort de sa femme, et qui considère sa ville comme "l'une des plus dissolues du monde" , s'emploie dès lors à combattre les abus et tailler allègrement dans les dépenses communales. Son intransigeance et son mauvais caractère lui créent de nombreuses inimitiés. 

Jean-Antoine de Cambacérès, dans sa tenue de maire de Montpellier.
Jean-Antoine de Cambacérès, dans sa tenue de maire de Montpellier - ©Archives de Montpellier

La grande affaire qui va occuper Jean-Antoine pendant 15 ans, est l'alimentation de Montpellier en eau. Les fontaines et les puits médiévaux ne suffisent plus aux besoins quotidiens d'une population en pleine expansion. Il devient urgent d'acheminer l'eau de la source saint-Clément, à 14 kilomètres de distance. Pour ce projet d’envergure, le maire de Montpellier s’appuie sur le célèbre ingénieur, Henri Pitot. 

gravure
Vue générale de Montpellier. Lithographie, 1834 - © Archives de Montpellier

L’œuvre de Pitot est une merveille hydraulique. La canalisation débouche sur un aqueduc, long de 880 m et haut de 22 mètres et se déverse au château d’eau, alimentant de nouvelles fontaines magnifiquement décorées. Conçues comme des œuvres d’art, elles sont inaugurées en 1776.  Si celle des Trois Grâces ne sera installée que 20 ans plus tard, Jean-Antoine peut admirer les deux autres. La première, dite des Licornes, est placée en face de l’hôtel de Ville (aujourd'hui détruit, situé sur l'actuelle place Jean-Jaurès). La deuxième (Cybèle) est devant chez lui, place Chabaneau. Il partage la fontaine avec son voisin, le comte de Saint Priest, qui loge à l’hôtel de Ganges, demeure officielle de l’Intendant du roi.  

Les bassins de la Folie

Il faut se rendre à l’évidence : les 25 litres d’eau par seconde déversés par l'aqueduc, peinent à alimenter la ville. Le débit attendu ne tient pas sa promesse. Or, le scrupuleux Cambacérès découvre que Saint Priest alimente les somptueux bassins de sa Folie de Puech Villa, le futur château d'O, en détournant les canalisations. Sa stupeur redouble en apprenant que son propre cousin fait de même à Montferrier. Il entend bien dénoncer ces pratiques. Saint Priest s’outrage des plaintes levées à son encontre et réclame la révocation du maire. À Versailles, l’Intendant a l'oreille du roi.  Cambacérès ne peut plus compter sur ses fidèles protecteurs qui, tel le marquis de Castries, lui conseillent de partir avant d'être chassé : « C’est à vous à examiner s’il ne convient pas mieux de saisir le premier moment où, étant contrarié, vous aurez un motif honorable de remettre votre place. Je sais, Monsieur, tout ce que vous devez penser… »

Place du peyrou
Modelée au long du XVIIIe siècle, la place royale du Peyrou offre une perspective où s'alignent l'Arc de Triomphe, la statue équestre et le Château d'eau, véritable temple que Giral a dédié à Neptune - © C.Ruiz

Cambacérès est démis de sa charge en 1778. Et pour le punir davantage, on s’ingénia à le salir. Saint-Priest et ses amis l’accusèrent de prévarication. L'affaire retomba vite, faute de preuves. Néanmoins, elle atteint Jean-Antoine qui préfère quitter Montpellier. Il terminera sa vie en 1801, occupant un modeste poste de juge de paix en Provence, obtenu grâce à son fils. 

Sa révocation n’affecte pas Jean Jacques Régis. Ayant acheté l’office de son père à la Cour des Comptes, il demeure en ville. Son brillant esprit plaît dans les salons. Sa position sociale s'affirme, sa vie est égayée par le théâtre et les meilleures tables. Du drame paternel, le jeune homme tire une règle de vie : ne jamais s’opposer frontalement aux puissants. Il la suivra fidèlement. 

 

Signature de Cambacérès
Signature de Cambacérès

Retrouvez les autres épisodes de la série ici

 

 

Le chateau de Montferrier
Le château de Montferrier et ses spectaculaires bassins, propices aux jeux d’eau, très en vogue dans les demeures aristocratiques - © Ville de Montferrier-sur-Lez
Vue aérienne aqueduc Montpellier.
S'il n'amène plus l'eau à Montpellier, l'aqueduc saint Clément est inscrit au titre des monuments historiques depuis 1954 - © C.Ruiz
Hôtel Cambacérès Murles, que Jean Jacques Régis n'occupa jamais.
Hôtel Cambacérès Murles, que Jean Jacques Régis n'occupa jamais - © H.Rubio
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Le chateau de Montferrier
Le château de Montferrier et ses spectaculaires bassins, propices aux jeux d’eau, très en vogue dans les demeures aristocratiques - © Ville de Montferrier-sur-Lez
Vue aérienne aqueduc Montpellier.
S'il n'amène plus l'eau à Montpellier, l'aqueduc saint Clément est inscrit au titre des monuments historiques depuis 1954 - © C.Ruiz
Hôtel Cambacérès Murles, que Jean Jacques Régis n'occupa jamais.
Hôtel Cambacérès Murles, que Jean Jacques Régis n'occupa jamais - © H.Rubio