Série "Les prémices d'une future capitale de l'image" // Épisode 12

Rencontre avec Yoan Fanise : co-fondateur du studio de jeux vidéo Digixart

13-04-25 - 12:30
14-04-25 - 17:01
Yoan Fanise a passé 15 ans à Ubisoft. Il est l’un des quatre co-créateurs des "Lapins crétins". Son envie de liberté créative l’a poussé en 2015 à fonder à Montpellier Digixart avec son épouse, Anne Laure. Le studio indépendant de jeux vidéo fête ses dix ans cette année.
le fondateur et son épouse
Yoan et Anne Laure Fanise ont fondé Digixart en 2015 - © L. P.
Écouter

Racontez-nous les débuts de Digixart...

Yoan Fanise : Au début de l’aventure, nous étions quatre. Nous avons été incubés par le BIC – Business Incubator Center - de la Métropole de Montpellier. Nous étions hébergés à Cap Omega au Millénaire. Aujourd’hui, nous sommes 43 personnes sur deux plateaux voisins à Montpellier. 10 ans après la création de Digixart, nous avons déjà sorti quatre jeux. Le cinquième, Tides of Tomorrow (Les marées de demain), sortira début 2026 et le sixième est déjà en cours de réalisation... Le fil conducteur de tous nos jeux - distribués sur PC et consoles - est qu’ils ont un aspect sérieux et profond. Mais cela reste du jeu vidéo et on veut qu’ils soient « fun » à jouer. Notre patte artistique a marqué les esprits et a eu un retentissement sur les esprits. 

Comment avez-vous percé dans ce milieu très concurrentiel ? 

Ça a été compliqué et la route n’a pas été simple. Nous sommes un studio indépendant et c'est très dur de trouver des financements. C'est très risqué pour les éditeurs, beaucoup de jeux ne marchent pas. Pour vous donner une idée, en 2024, 19 000 jeux ont été lancés à travers le monde... Le jeu vidéo est dans un système hyper compétitif. Pour sortir du lot, il faut être toujours innovant. 

Avez-vous rencontré le succès immédiatement ? 

Nos deux premiers jeux, Lost in harmony et 11-11 Mémories retold, ont été des échecs commerciaux, même si nous avons eu un succès d’estime. La critique était très bonne et nous avons reçu des prix, mais les ventes n’ont pas suivi. 

image du jeu
Lost In Harmony, le premier bébé de Digixart - © Digixart

Comment les jeux sont-ils financés ? 

Le monde du jeu est similaire au monde du cinéma. À l’instar des producteurs qui financent des films, des éditeurs, appelés publishers dans le milieu, le font pour les jeux vidéo. 

Au troisième jeu, nous avons appris de nos erreurs. Et c’est celui qui a été le plus dur à financer, parce que quand on enchaîne deux échecs, les éditeurs ne suivent plus. En plus, il faut être unique, se démarquer... Et c’est un peu au moment où on s’y attend le moins que le succès arrive !

Comment avez-vous finalement réussi à le financer ?  

Nous avons dû financer notre troisième jeu, Road 96, avec des bouts de ficelle, un peu de sponsoring… Les collectivités nous ont beaucoup aidés. Nous avons été incubés et logés par la Métropole à Cap Omega pendant cinq ans.  À un moment clé où nous avons failli mourir, deux subventions de la Métropole et de la Région nous ont gardés à flot ; des aides de pré-production aux ICC. Nous avons bien été épaulés. Même si ce ne sont pas des sommes folles au regard du coût d’un jeu vidéo, c’est ce qui nous a permis de survivre entre notre deuxième et notre troisième jeu. Ce qui nous permet aujourd’hui d’avoir plus de 40 employés à Montpellier en Occitanie. La persévérance est la clé de la réussite !

Qu’est-ce qui a permis de pérenniser la société ?

Sentant le succès arriver, plusieurs grands groupes de tous les continents nous ont approchés. Nous nous sommes dits que ce serait une bonne solution pour stabiliser l’équipe et faire baisser la pression financière. Nous avons rejoint Embracer group, un groupe suédois, donc européen. C’est un grand groupe, plus important qu’Ubisoft. Il se distingue des grandes « majors » car il est entièrement composé de studios indépendants. Embracer garantit l’indépendance créative de ses studios. Pour nous, c’est le meilleur des deux mondes : nous avons la stabilité financière et la liberté créative. 

Qu’en est-il du recrutement des talents ? 

Nous avons 43 salariés et nous avons la chance d’être situés dans l’Eldorado des écoles de jeux vidéo, Montpellier Entre l’Esma, Artfix, Objectif 3D et surtout l’Université Paul-Valéry et son cursus jeux vidéo qui est génial. Sept ou huit de nos salariés sortent de l’UPV. Cette formation est complète. Il y a le côté artistique et le volet technique. L’université est notre première source de recrutement de talents. 

Nous avons fait le choix de ne pas faire de sous-traitance en Inde ou dans d’autres pays. Nous sommes fiers de dire que c’est du 100 % Montpellier. Nous enregistrons même les voix dans nos studios. Nous jouons local ! 

le studio de création
Les talents créateurs des prochains jeux sont installés sur deux plateaux - © L. P.

Quel est le coût de fabrication d’un jeu ? 

La fabrication d’un jeu nécessite un à quatre millions d’euros pour Digixart. Les grands studios investissent jusqu’à 60 millions. Je n’aimais pas cette tendance industrielle du jeu vidéo. Je voulais retrouver le jeu vidéo à échelle humaine, dans un cadre où l’on travaille tous ensemble dans la même pièce. C’est ça qui me manquait beaucoup quand j'étais à Ubisoft.

Et côté innovation ?

Notre innovation a porté sur la manière de raconter l'histoire. Nous avons lancé la narration procédurale. Elle n’est ni linéaire, ni par branches, mais les séquences sont envoyées aux joueurs dans le désordre. Même nous, développeurs, nous ne savons pas dans quel ordre les séquences vont arriver aux joueurs. Mais, cette innovation n’a pas suffi à convaincre les éditeurs. 

les lieux de Road 96
Les documents de travail de Road 96 sont encore affichés dans les studios de Digixart - © L. P.

Le troisième jeu Road 96 a permis de relancer votre entreprise ? 

Oui, Road 96 a été un succès total de la critique et surtout commercial. Nous avons eu cinq Pégases, l’équivalent des Césars. Aujourd’hui, nous comptons quatre millions de joueurs à ce best-seller, bien plus que certains jeux des grands studios mondiaux. Road 96 est joué partout dans le monde, de la Chine à la Russie, en passant par l’Amérique et l'Europe. 

Aujourd’hui vous aidez à votre tour les jeunes entrepreneurs ? 

Avec Montpellier Game Lab qui accompagne la création et le développement de studios de jeux vidéo depuis 2021, je suis et « je mentore » des jeunes de pouces et les nouveaux entrepreneurs de Cap Omega. J’aide des studios à émerger, je transmets des conseils et mon expérience. Car à Montpellier, il y a un véritable terreau de talents.