L’Homo sapiens est un animal comme les autres, mais il l’a oublié. Cette phrase pourrait servir de sous-titre au documentaire Vivant parmi les vivants, projeté le 13 novembre à 18h30 au site archéologique Lattara - musée Henri Prades à Lattes, dans le cadre de l’exposition Chevaux, héros oubliés ?
En effet, l’œuvre interroge notre rapport au monde animal et la manière dont nous nous en sommes peu à peu exclus, ou plutôt, selon le réalisateur Sylvère Petit, « comment nous avons réussi à nous faire croire que nous n'en faisions pas partie. Au fil de notre histoire occidentale, nous avons cessé d'intégrer les autres espèces dans nos vies, dans nos représentations, dans nos réflexions philosophiques. Nous avons créé une étrange civilisation qui s'est repliée sur elle-même ».
Le film invite les spectateurs à aiguiser ses sens : l’ouïe, pour écouter les vents, les cris des craves à bec rouge mais aussi, dans le brouhaha des villes, les voix de deux philosophes contemporains. Et le regard, pour observer, à hauteur de chien ou de cheval, la vie d'un autre point de vue.
Nouvelle philosophie du vivant
Pendant 1h30, le spectateur découvre quatre protagonistes, chacun porteur d’une histoire propre. Stipa, vieille jument sauvage de Przewalski, occupe les vastes espaces du Causse Méjean où elle vit ses derniers instants. Elle est longuement observée par Baptiste Morizot, figure majeure de la « nouvelle philosophie du vivant », dont les recherches explorent les interdépendances entre les espèces. Alba et Vinciane Despret, elles, forment un duo indissociable. La placide chienne accompagne son humaine, philosophe belge, qui de conférences en plateaux de télévision, interroge nos rapports aux autres animaux que nous.
Le concept de décentrement
Depuis son premier film, Les Ventileuses en 2009, qui adoptait le point de vue d’une apicultrice et de ses abeilles, Sylvère Petit poursuit la même quête. Celle d'un décentrement. En plaçant sa caméra à hauteur d’animal, il s’efforce de déconstruire un regard humain qu’il juge trop anthropocentré, et montre une autre façon d’entrer en relation avec les autres espèces. « Les manières de nous voir au monde sont inévitablement le fruit de nos héritages et de nos inconscients. Dans leurs travaux, Vinciane et Baptiste invitent les autres espèces en philosophie et nous aident ainsi à prendre de la distance. Et tenter de faire des films inter-espèces questionne également la grammaire cinématographique ».
Une nouvelle perception
Dans Vivant parmi les Vivants, la caméra adopte un regard égal envers chacun des protagonistes, humains comme animaux, témoignant d’une égale empathie. Le film articule de somptueuses images animalières et des conférences (elles aussi dans un style « animalier ») où les deux penseurs exposent leurs conceptions du vivant. Cette alternance trouve un écho particulier lorsque Baptiste Morizot, observant Stipa, la vieille jument sauvage de Przewalski, substitue au terme dominant celui de préséant. Par ce déplacement sémantique, l’auteur de Sur la piste animale, nous fait apercevoir une autre perception qui bouleverse nos certitudes.
Un projet singulier
Le tournage du documentaire s’est étendu sur trois années. Coproduit par la chaîne Arte et Les Films d’Ici Méditerranée, il a bénéficié du soutien de la Métropole de Montpellier grâce à son fonds d’aide ICC, tout comme le prochain long métrage de Sylvère Petit, La Baleine, une œuvre de fiction écrite avec le Montpelliérain Nathan Le Graciet. Inspiré d’un fait réel, basé sur l'histoire de Jean-Louis et Patricia Fabre, le film raconte l’obstination d’un vigneron malade et misanthrope qui entreprend de dépecer une baleine échouée sur une plage méditerranéenne afin d’en sauver le squelette d'un dynamitage sanitaire. Ce projet singulier réveille alors la peur et la violence chez ses voisins. Le rôle principal est interprété par le comédien catalan Sergi Lopez, tandis que, fidèle à son univers, Sylvère Petit a également confié des rôles marquants à une chouette effraie, une corneille et un chien.