Jean Guizonnier, le résistant martyr

Alors que s’achèvent les célébrations des 80 ans de la Libération, les Éditions L’Harmattan ont la bonne idée de réimprimer la biographie du résistant montpelliérain Jean Guizonnier, sauvagement assassiné par la Milice en aout 1944. Enrichi par des documents inédits, l'ouvrage retrace le parcours d'un homme confronté à la grande Histoire et qui y laissera sa vie.
Jean Guizonnier
Le portrait posthume de Jean Guizonnier, peint par Mathilde Francès, orne la caserne de pompiers qui porte son nom - © Mathilde Francès
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Publié une première fois en 2009, Capitaine Guizonnier reparaît cette année aux Éditions L’Harmattan, enrichi de nouveaux documents puisés dans les Archives de Montpellier. Ces matériaux inédits ont permis à Pierre Dumont et Jean Tavoillot, les deux auteurs montpelliérains de cette biographie romancée, de mieux retracer le destin tragique de Jean Guizonnier.

Montpellier a faim

Ce dernier, directeur adjoint de la Voirie de la Ville de Montpellier, est fait prisonnier en 1940 avant d’être libéré en août 1941. « Il doit son retour à l’insistance de la mairie de Montpellier. La municipalité avait besoin de personnel compétent pour fonctionner », souligne Pierre Dumont. Montpellier est plongé alors dans une vie quotidienne morose. La pénurie s’installe et le ravitaillement ne délivre plus que 100 grammes de pain et 150 grammes de viande par jour et par personne. 

Malgré la faim, une grande partie des Montpelliérains accepte l’ordre nouveau instauré par Vichy. Les élites locales s’y rallient également. Augustin Fliche, doyen de la faculté des Lettres, s’oppose à la nomination de l’historien juif Marc Bloch, tandis que Mgr Brunhes, évêque de Montpellier, apporte son soutien officiel à la Révolution nationale. Même la place située devant la Préfecture est rebaptisée place Maréchal-Pétain.

Une mairie aux mains du pouvoir vichyste

Guizonnier prend la tête du service de la Voirie municipale. Lieutenant et chef de corps à la caserne des pompiers, il s’investit aussi dans les œuvres dédiées aux prisonniers de guerre. Le fonctionnement municipal est profondément transformé par le nouveau régime qui décide que les maires et les conseillers municipaux sont désormais nommés par le gouvernement. Le maire radical Jean Zuccarelli, issu des élections de 1935, a refusé de collaborer. Poussé à la démission en février 1941, il est remplacé par Paul Rimbaud, un ancien président de la cour d’appel. Le conseil municipal est remanié. Les membres les plus ancrés à gauche ou francs-maçons sont évincés et les nouvelles nominations doivent inclure une mère de famille nombreuse, des membres de la Légion des combattants et diverses catégories socio-professionnelles. Le buste en terre cuite de Philippe Pétain remplace celui de Marianne.

jean Guizonnier
Jean Guizonnier sur le chantier de la nouvelle canalisation du Lez en 1934 - © Archives de Montpellier

L’esprit de résistance

Le débarquement allié en Afrique du Nord entraîne l’occupation de la zone libre en novembre 1942. Montpellier doit accueillir 3 000 soldats allemands dans ses casernes et ses hôtels, et la Gestapo s’installe à la villa des Rosiers. Sous la domination nazie, les Montpelliérains subissent couvre-feu, réquisitions et rafles ciblant résistants et juifs. Cette occupation provoque une perte croissante de confiance envers Vichy. Une partie de l’élite rompt avec le régime, à l’image du préfet de l’Hérault, Alfred Hontebeyrie, qui rejoint la Résistance.

Celle-ci est active dès 1940, notamment autour d’intellectuels comme le professeur de droit Pierre-Henri Teitgen. Unis sous la bannière gaulliste, les mouvements clandestins préparent la libération du territoire et collectent des renseignements, constituent des stocks d’armes, fabriquent des faux papiers.

Noyauter les administrations

Jean Guizonnier entre en Résistance en 1943. Sous le nom de Girardin, il dirige le réseau de Noyautage des Administrations Publiques (NAP) dans le département de l'Hérault dont la mission est d'infiltrer les administrations. L’une des actions les plus spectaculaires du réseau est la distribution, le 11 novembre, de 11 000 faux tickets d’alimentation aux Montpelliérains.

En janvier 1944, Guizonnier devient directeur suppléant de la Défense passive. Ce poste, combiné à celui de directeur de la Voirie, lui sert de couverture. Il élabore un plan clandestin visant à rétablir eau, gaz et électricité en cas de destruction des réseaux par l’occupant. Parallèlement, des groupes de combat se forment en secret autour des sapeurs-pompiers, sous la direction du secrétaire général de la mairie, Jean Baumel.

L’étau se resserre

La présence de la Milice dans la ville est pesante. Forte d’un millier d’hommes, l’organisation paramilitaire incarne la répression collaborationniste, soutenue par l’intendant de police et le nouveau préfet de l’Hérault, Jean-Paul Reboulleau. Les résistants sont de plus en plus menacés. Jean Baumel est arrêté par la Gestapo en février 1944 et déporté en Allemagne.

Par prudence, Guizonnier envoie sa femme et sa fille se cacher à la campagne. Lui refuse de quitter Montpellier. Une décision fatale. « Il ne se méfiait pas assez, estime Pierre Dumont. Il tenait à être à son poste le jour de la Libération qu'il savait proche ». Une conviction renforcée par la présence à Montpellier depuis le mois de juin, de Jacques Bounin, le commissaire de la République nommé par De Gaulle pour restaurer les institutions démocratiques. Peut-être se croyait-il protégé après avoir reçu, selon les deux auteurs, les remerciements de l’état-major de la Wehrmacht pour l’intervention des pompiers lors du bombardement anglais du 5 juillet ? Ce jour-là, 57 civils avaient été tués, 87 blessés. Les dégâts étaient importants boulevard Berthelot, aux chemins de l’Herbette et de la Perruque, ainsi que boulevard Rabelais, où réside Guizonnier.

Jean Guizonnier
Une des dernières photos de Jean Guizonnier, prise en 1944. Il avait 45 ans - © Archives de Montpellier
 Maria et Nicole Guizonnier
Maria Guizonnier et sa fille Nicole à Montpellier, dans les années 40 - © Archives de Montpellier
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Jean Guizonnier
Une des dernières photos de Jean Guizonnier, prise en 1944. Il avait 45 ans - © Archives de Montpellier
 Maria et Nicole Guizonnier
Maria Guizonnier et sa fille Nicole à Montpellier, dans les années 40 - © Archives de Montpellier

Martyrisé par la Milice 

Le 8 août, il est arrêté dans son bureau de l’hôtel de Ville, place de la Canourgue, puis conduit à la caserne de Lauwe, siège de la Milice. Là, il est interrogé, torturé, atrocement mutilé. Jean Guizonnier succombe sous les coups, probablement le 13 août 1944, bien que la date exacte demeure inconnue. Son corps n’est retrouvé que le 6 septembre, enseveli dans une tranchée de la caserne. Il est identifié grâce à une cicatrice à l’épaule droite, héritage d’une ancienne opération. Sa dépouille est transférée du cimetière protestant de Montpellier à celui de Sète en 1946.

Le 26 août, trois jours après la libération de Montpellier, le nouveau conseil municipal lui avait rendu hommage en donnant son nom à la caserne de sapeurs-pompiers de la rue Pitot.

En février 1946, un procès est organisé devant la cour d’assises de Montpellier. Plusieurs miliciens sont condamnés pour son assassinat. Aujourd’hui, une plaque apposée au 9 boulevard Rabelais rappelle sa mémoire.