Jeanne Demessieux : une vie d'orgue

Jeanne Demessieux, née à Montpellier il y a cent ans, fut l’une des plus grandes organistes de son temps. Enfant prodige, interprète, compositrice, pédagogue, elle mena - grâce à un travail acharné - une éclatante carrière internationale, trop tôt interrompue par sa mort brutale, à 47 ans.
Jeanne Demessieux à l'orgue
©Archives de Montpellier
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Il serait facile de résumer sa vie en quelques chiffres brillants : débuts au piano à l’âge de 4 ans, découverte de l’orgue à 5 ans, premier prix du conservatoire à 11 ans… Avant de citer les 700 concerts donnés à travers le monde ou les 1 500 pages musicales jouées par cœur…  « En matière d’art, le conte de fée exaspère ou ravit », s’était déjà exclamé un critique du Figaro, pour saluer le récital donné sur les grands orgues de la salle Pleyel de la jeune prodige alors âgée de 25 ans.

Un miracle musical

Prodige. Jeanne Demessieux le fut sans aucun doute. Née à Montpellier, le 13 février 1921, dans un immeuble situé derrière la gare SNCF, elle avoua dans son journal, tenu assidument pendant plusieurs années, avoir vraiment été « saisie » par le son des grands orgues de Notre-Dame au cours d’un voyage qu’elle fit à Paris lorsqu’elle avait sept ans. Mais selon la légende familiale, c’est deux ans plus tôt, sur le bel orgue Cavaillé-Coll de l’église Saint-Mathieu à Montpellier, qu’elle posa les doigts pour la première fois, pour y jouer de mémoire et jusqu’au bout une étude de Chopin.

Jeanne Demessieux enfant devant son piano
Jeanne au piano. Après avoir occupé le poste d'organiste suppléante de l'église du Saint-Esprit, alors qu'elle avait 13 ans à peine, elle sera nommée titulaire à la Madeleine, poste qu'elle occupera toute sa vie - ©Archives de Montpellier

Premier prix de solfège et de piano en 1932 au Conservatoire de Montpellier, elle déménage avec toute sa famille pour poursuivre ses études à Paris. Elle y enchaîne les premiers prix d’harmonie, de piano, de contrepoint et fugue. Et le premier prix d’orgue, tant convoité, en 1941. C’est au Conservatoire de Paris qu’elle rencontre celui qui va devenir son inspirateur et son maître : Marcel Dupré. Il a 50 ans. Jeanne, 15. Organiste, compositeur, pédagogue, il est titulaire de l’orgue du Saint-Esprit et permet à Jeanne d’assurer des suppléances. Il lui ouvre également les portes d’une carrière internationale en préparant pour elle une série de récitals donnés en 1946 à la salle Pleyel, avant de partir sillonner l’Europe et les États-Unis. Elle est notamment la première femme autorisée à jouer à l’Abbaye de Westminster de Londres, grâce à une autorisation spéciale de l’archevêque.

Page du journal de Jeanne Demessieux
Dans son journal, consultable en ligne sur le site des Archives de Montpellier, Jeanne consigne les événements importants de sa vie et de sa carrière - ©Archives de Montpellier
Jeanne Demessieux et son père sur un bateau
La virtuose et son père, en 1953, sur le bateau qui la ramène d'une tournée glorieuse en Angleterre - ©Archives de Montpellier
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Page du journal de Jeanne Demessieux
Dans son journal, consultable en ligne sur le site des Archives de Montpellier, Jeanne consigne les événements importants de sa vie et de sa carrière - ©Archives de Montpellier
Jeanne Demessieux et son père sur un bateau
La virtuose et son père, en 1953, sur le bateau qui la ramène d'une tournée glorieuse en Angleterre - ©Archives de Montpellier

Le succès et les ombres

Le succès, les voyages, l’éloignement de ceux qui lui sont chers, accentuent cependant les « accès de mélancolie désespérantes » qu’elle confiait à son journal, alors qu’elle n’était encore qu’une adolescente.  « Pourquoi dans ma nature y a-t-il deux sentiments si opposés ? D’un côté c’est la violence, de l’autre la mélancolie douloureuse ou accablante. » De quoi faire mentir les photos posées de l’artiste, figées dans ses sourires de perles et robes sages. Alors que d’autres la montrent échevelée, rayonnante et puissante, sur l’un de ces chevaux de Camargue, près du mas familial où elle aimait se ressourcer. 

La fatigue, une santé depuis toujours fragile, la trahison de son maître qui s’éloigna d’elle brutalement et sans explication, accentuèrent sans doute ce sentiment d’avoir peut-être trop donné à son art et pas assez à sa vie personnelle. Elle ne cesse pourtant de travailler. Ajoute à ses tournées, l’enseignement, les enregistrements, ainsi qu’un répertoire important de compositions. En 1962, elle devient titulaire des orgues de l’église de la Madeleine, succédant à ce poste à Saint-Saëns et Gabriel Fauré. Lorsqu’elle meurt à 47 ans, le 11 novembre 1968, des suites d'un cancer, le grand orgue resté silencieux est recouvert d’un immense voile noir. 

>>> En savoir plus : Archives de Montpellier

Jeanne Demessieux sur un cheval blanc de Camargue
Arrachée à son Sud natal à l'âge de 12 ans, pour les besoins de sa carrière, Jeanne éprouvera toujours le besoin de venir se ressourcer dans le mas familial, entre chevaux, herbes folles et cigales. "Il est si beau, mon pays !" - ©Archives de Montpellier