Série Cambacérès (2/5)

Cambacérès : le doux privilège de vivre

16-03-24 - 12:00
22-03-24 - 18:13
À l’occasion du bicentenaire de sa mort, En Commun propose de partir, en cinq épisodes, à la découverte de Cambacérès, grand serviteur de l’État. En 1789, Cambacérès a 36 ans. Il appartient à la noblesse, obtenue par son grand-père. À ce titre, il bénéficie de privilèges. Dans la société inégalitaire de l’Ancien régime, le jeune magistrat se meut avec aisance et succès.
statues
© H. Rubio
Écouter

Conseiller à la Cour des Comptes du Languedoc, Jean-Jacques Régis de Cambacérès est un juriste sérieux et efficace. On lui confie les cas délicats qu’il règle avec habileté. En 1786, Louis XVI le récompense pour les services qu’il rend à la Couronne « avec autant de zèle que de désintéressements », en lui octroyant une pension royale de 1 200 livres. Six mois par an (le reste de l’année, il est libre de son temps), coiffé d’une perruque et vêtu de la robe rouge des conseillers, Cambacérès siège à la Cour des Comptes, sous le plafond peint par Vien et représentant Hercule terrassant les vices

Le jeune magistrat fréquente les cercles du pouvoir. Il est consulté par le nouvel Intendant du roi et est écouté du comte de Périgord, gouverneur de la ville. On le voit souvent à Montferrier, chez son cousin qui donne des réceptions fastueuses, en vallée du Lez. Recevoir une invitation était flatteuse pour l’invité qui pouvait, en déambulant dans les jardins parsemés de bassins, admirer la volière, passion du marquis.

Chateau Bon, Montpellier
Le chateau Bon à Montpellier, lieu de villégiature de la famille Bon de Saint-Hilaire. Dans le parc, le marquis y élevait des araignées dont les fils de soie servaient à la fabrication de bas et de mitaines - © C. Ruiz

Pénitent et franc-maçon 

Cambacérès a quitté la maison paternelle, place Chabaneau. Célibataire, il vit dans un bâtiment en contrebas de la descente Sainte Croix. Toujours très impliqué dans la confrérie des Pénitents blancs, il processionne régulièrement dans les rues, revêtu d’une robe de bure blanche et la tête coiffée de haute cagoule en pointe. Il complète son parcours spirituel en entrant en franc maçonnerie, adoubé par son oncle de Montferrier. Il y retrouve bons nombre de Pénitents blancs et d’amis. Ces nouveaux cercles qui se créent derrière les façades des hôtels particuliers sont très populaires à Montpellier. Le Grand Orient de France y compte 18 ateliers. Les loges regroupent l’élite intellectuelle, composée notamment de bourgeois entreprenants, aux idées progressistes, avides de techniques nouvelles.  

Rue Saint Pierre Montpellier
La rue Saint-Pierre que Cambacérès a de nombreuses fois grimpé, n'a guère changé depuis le XVIIIe siècle - © H. Rubio

Ortolans et indiennes

Grand amateur d’art, Cambacérès est un assidu de la Comédie, seule animation culturelle. Bien que le bâtiment ait été construit devant la porte de Lattes, un lieu totalement isolé, le public fortuné s'y presse pour applaudir le comédien Duel de Neuville dans Le Devin du Village de Rousseau et s’enthousiasmer pour les opéras de Gluck. Les ballets et les pantomimes sont également très appréciés. En 1785, un incendie ravage le théâtre. Rapidement reconstruit à l’identique, il sera remplacé par le théâtre actuel en 1889.

La gastronomie, avec le Droit, est une affaire très sérieuse pour ce gourmand conseiller. Toute sa vie, Cambacérès sera un fin gourmet. Les caricaturistes, à l’époque de sa puissance, ne manqueront pas d’ironiser sur cet aspect de sa personnalité. À L’écu de France, une auberge réputée de Lunel, il déguste des ortolans et s’offre volontiers une glace sur la promenade du Peyrou.  

Gravure théatre  1755 Montpellier
Le théâtre s'ouvrait sur un vaste terrain, future place de la Comédie. La salle appartenant à la ville, les acteurs payaient une redevance de 24 livres par représentation - © Archives municipales

L'ami de Chaptal

Jean-Jacques Régis se rend régulièrement à La Paille, dans la campagne sud de Montpellier, chez son ami Jean-Antoine Chaptal. Convaincu que la science peut être d’une grande aide à l’industrie, le chimiste y met cette approche en pratique. Dans sa manufacture de produits chimiques, il développe des composés dont le secteur textile a besoin pour le blanchissage et la teinture. Une aubaine pour Montpellier où il est très développé. 30 000 mouchoirs, indiennes et toiles de coton sont produits dans la dizaine de manufactures qui, sur les bords de la Mosson, de la Lironde et du Lez, emploient 5 000 personnes. Gaspard Cambon, établi à Boutonnet, domine le marché. Il écoule ses marchandises principalement à Saint-Domingue et dans les colonies occidentales. 

Horloge XVIIIe siècle
L’élite montpelliéraine, au XVIIIe siècle, est ouverte à l’esprit des Lumières, animée par une immense volonté de progrès, encourageant l’essor des idées nouvelles - © Musée du Vieux Montpellier

La fin d'une époque

Les activités maçonniques de Cambacérès le conduisent plusieurs fois à Paris. À la Cour, le Montpelliérain à la mode est Jean-Louis Fargeon, parfumeur du Roi. On y célèbre aussi le vieux Joseph-Marie Vien, récemment nommé Premier peintre du Roi. Dans son atelier, où il forma David, il fonde de grands espoirs sur François-Xavier Fabre, jeune marmiton du Clapas, repéré et recommandé par le marquis de Montferrier. Dans les rues et les salons, Jean-Jacques Régis hume l’air du temps. On y parle d’États Généraux, des réformes nécessaires au royaume. Favorable aux idées nouvelles, Cambacérès suit les événements avec intérêt. 

Lors de ses séjours parisiens, il loge le plus souvent chez son oncle Vassal, un banquier qui vient d'acheter à son fils une charge de Fermier général et qui s’est également offert une loge en face de celle de la reine à l’Opéra. Il la prête volontiers à son élégant neveu de province, si élégamment poudré. De cette position privilégiée, Cambacérès peut ainsi contempler le visage d'un monde qui touche à sa fin. 

Cambacérès
Homme de réseaux tissés en partie à Montpellier, Cambacérès participe au renouveau de la franc-maçonnerie sous le Consulat puis l'Empire. Il devient grand maître adjoint du Grand Orient de France.

 

Retrouvez les autres épisodes de la série ici

Chaptal
Sous la Révolution, Chaptal sera incarcéré à Montpellier en 1793 et libéré grâce à l'intervention de Cambacérès - © Archives de Montpellier
Peinture Raymond Durand
Le négociant Raymond Durand, l'homme le plus riche de Montpellier. À sa mort en 1789, sa fortune était estimée à 2 millions de livres. Il est le père de Jean-Jacques Durand, le premier maire élu de Montpellier - © Musée du Vieux Montpellier
chapelle Sainte-Foy
La chapelle Sainte-Foy, rue Jacques-Cœur, est toujours propriété de la Confrérie des Pénitents blancs. Son exceptionnel plafond peint la firent surnommer la "Sixtine du Languedoc" - © H. Rubio
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Chaptal
Sous la Révolution, Chaptal sera incarcéré à Montpellier en 1793 et libéré grâce à l'intervention de Cambacérès - © Archives de Montpellier
Peinture Raymond Durand
Le négociant Raymond Durand, l'homme le plus riche de Montpellier. À sa mort en 1789, sa fortune était estimée à 2 millions de livres. Il est le père de Jean-Jacques Durand, le premier maire élu de Montpellier - © Musée du Vieux Montpellier
chapelle Sainte-Foy
La chapelle Sainte-Foy, rue Jacques-Cœur, est toujours propriété de la Confrérie des Pénitents blancs. Son exceptionnel plafond peint la firent surnommer la "Sixtine du Languedoc" - © H. Rubio