Votre mission était de faire du Pavillon Populaire un lieu d’excellence d’envergure nationale et internationale pour la photographie et de transmission pour un large public. Mission accomplie ?
G.M. - J’ai exercé tout mon parcours professionnel avec beaucoup de plaisir et les quatorze années passées au Pavillon Populaire en tant que directeur artistique ne dérogent pas à la règle. C’était une partie infinie de plaisir que de faire ce travail. J'ai pu remplir ma mission parce que l’on m’en a donné les moyens et, à part Paris, il est rare qu’une municipalité fasse autant d’efforts pour la photographie. Le Pavillon Populaire est un vrai musée pour la photographie. Un lieu aussi important que le Centre Georges Pompidou. Quand ce poste de directeur artistique m’a été proposé par Michaël Delafosse en 2010, alors adjoint à la Culture, j’acceptais à condition de disposer d’une entière liberté de programmation des expositions et de faire un vrai travail professionnel. J’ai pu le faire grâce au respect de ses engagements. La Ville m’a donné carte blanche. C’était exceptionnel. J’espère avoir façonné le regard des visiteurs. La fréquentation a toujours été croissante ; le public ne s’y est pas trompé. À la fois, je me suis fait plaisir et j’ai fait œuvre éducative auprès du public. Montpellier est après Paris, la Ville qui en France, investit le plus pour la culture. Le Pavillon Populaire rentre dans cette politique volontariste que mène la municipalité, avec une offre exceptionnelle et une gratuité totale des lieux d’exposition ; un lieu d’excellence d’envergure nationale et internationale.
Des Sud profonds de l’Amérique en 2010 à Gisèle Freund, une écriture du regard... Ce sont 40 expositions engagées, certaines très marquantes et des faits inoubliables.
G.M. - J’ai trouvé avec le Pavillon Populaire et les municipalités que j’ai rencontrées, Hèlène Mandroux, Philippe Saurel et Michaël Delafosse, le lieu parfait qui correspondait le mieux à ce que je comprends de la photographie. À la façon dont on l’expose, elle est un engagement politique social et idéologique. J’ai voulu que ces expositions soient populaires comme le nom du pavillon ; je les ai toutes choisies parce qu’elles avaient une importance historique ou idéologique ; j’ai proposé des expositions qui n’avaient pas d’équivalents et jamais montrées auparavant.
Je n’ai pas d’anecdotes particulières, mais des faits marquants comme la venue de Paul Mac Cartney au vernissage de l’exposition Linda McCartney, rétrospective 1965-1997. Je pense à l’exposition I am a man, photographies et luttes pour les droits civiques dans le Sud des États-Unis, 1960-1970 que j’ai réalisée avec le haut-commissariat de William Ferris, que le président Bill Clinton avait choisi en 1997 pour diriger le National Endowment for the Humanities (NEH), véritable ministère de la Culture américain. Cette exposition a tourné longtemps aux États-Unis. J’ai pu les faire parce que la Ville m’en a donné les moyens. On peut toujours avoir les meilleurs idées du monde et les plus enthousiasmantes... L'accompagnement économique est fondamental car ces expositions avaient un coût élevé. L’exposition Aurès, 1935. Photographies de Thérèse Rivière et Germaine Tillion fut un pari risqué, mais réussi, centré sur le travail de l’ethnologue Germaine Tillon ; il était possible de présenter des sujets difficiles et d'avoir l’écho une adhésion populaire. Un dictateur en images. Photographies de Heinrich Hoffmann et Regards sur les ghettos. Photographies de propagande allemande et des photographes juifs des ghettos d’Europe orientale (octobre 1939-août 1944) fut un sujet sulfureux, personne n’avait eu l’idée de montrer les clichés du photographe d’Hitler. Placé sous le commissariat d’Alain Sayag, ancien conservateur pour la photographie au Centre Georges Pompidou, nous avions pris toutes les précautions nécessaires. Et aussi La volonté du bonheur, exposition sur le Front Populaire a été en adéquation avec l’engagement politique de la Ville de Montpellier. J’ai été très attentif à cet aspect des choses.
Directeur artistique durant 14 ans au Pavillon Populaire, une expérience personnelle et professionnelle exceptionnelle…
G.M. - J’ai trouvé à Montpellier un lieu particulièrement réceptif à tout ce que j’avais envie de faire et je remercie l’accompagnement sans précédent qui m’a été fait durant ces années. Je suis infiniment reconnaissant à la Ville de Montpellier. Je me suis vraiment senti au bon endroit avec les bonnes personnes. Montpellier est une caisse de résonance unique pour la photographie et pour l’art contemporain. J’ai éprouvé un attachement personnel à ce lieu. Le Pavillon Populaire est un lieu unique, populaire, gratuit ; ces expositions de dimension internationale ont demandé des investissements, avec une scénographie été adaptée à chaque exposition. C’est un lieu que j’aime beaucoup et que je vais regretter. J’ai eu le plaisir de travailler avec une équipe à mon écoute, qui s’est adaptée à une exigence de haut niveau, notamment Natacha Filiol, une formidable attaché artistique. Après 14 ans, je quitte le Pavillon Populaire avec un infini regret ; c’est un cycle qui se termine, j’avais encore beaucoup de projets.
Quels sont vos projets pour la suite ?
G.M. - Je vais continuer à jouer dans mon groupe de rock The Frantic Rollers. C’est un étonnement, nous jouons toujours ! Le rock, c’est ce qui m’a permis de faire venir Paul Mac Cartney et Andy Summers, le guitariste de Police. Ils sont liés à moi non pas par la photo, mais par la musique. Le rock que je pratique est générationnel, celui des années 50. Nous avons encore de l’énergie pour nous produire sur scène et le public adhère. Par ailleurs, j’écris un livre sur la photographie allemande, qui est méconnue alors que je suis spécialisé dans la photographie américaine. La photographie allemande a été aussi importante que la photographie américaine.
Gisèle Freund, une écriture du regard, jusqu’au 9 février
"Cette exposition reflète très bien ce qu’est le Pavillon Populaire. Simone Freund est surtout connue en tant que sociologue, mais rarement comme photographe. Pour Gisèle Freund, la photographie était un phénomène social important. C’est la dernière exposition que j’ai voulue présenter. J’ai pensé que c’était pour le Pavillon Politique un bel hommage à l’engagement politique."
Un parcours exceptionnel de photographies
Gilles Mora, né en 1945 à Vélines (Dordogne), est un historien et un critique de la photographie, spécialiste de la photographie américaine du XXe siècle.
Il est l'auteur du Manifeste photobiographique. Également photographe, il a publié en 2016 un livre Antebellum (Éditions Lamaindonne et University Press of Texas) à propos du Sud-Est des États-Unis.
- En 1981, il fonde Les Cahiers de la photographie aux éditions Contrejour avec Claude Nori, Bernard Plossu, Jean-Claude Lemagny, Arnaud Claass et Denis Roche.
- En 1985, il lance le FRAC (Fonds régional d’art contemporain) à Bordeaux. L’année suivante, François Mitterrand fait appel à lui pour un partenariat entre la France et Atlanta.
- En 1989, Jack Lang le sollicite pour organiser des expositions de photos françaises aux États-Unis pour le 150e anniversaire de l’invention de la photo et le bicentenaire de la Révolution.
- En 1991, il est nommé directeur de collection au Seuil. Sur l'invitation de Bernard Millet, il est directeur artistique des Rencontres internationales de la photographie d'Arles de 1999 à 2001.
- En 1993, il fonde la collection L'Œuvre photographique aux éditions du Seuil. Il a dirigé, et publié dans cette collection, des monographies sur Walker Evans, Edward Weston, Charles Sheeler et Eugene W. Smith.
- En 2007, il a obtenu le prix Nadar pour son ouvrage La Photographie américaine, 1958-1981.
Gilles Mora est par ailleurs chanteur, guitariste et anime le groupe de rock des Frantic Rollers, l'un des plus anciens groupes français encore en activité.