Patrimoine

Montpellier au temps du chocolat

22-12-24 - 12:30
De 1820 à 1960, Montpellier abrita l’une des premières manufactures françaises de chocolat. Le nom de Matte, fit ainsi rêver plusieurs générations de gourmands et participa au prestige de la ville à l’aube du XXe siècle.
Affiche du chocolat Matte la Faveur, représentant un cavalier sur fond de Peyrou et Arceaux
Derrière le cavalier du chocolat la Faveur, le château d'Eau du Peyrou, l'aqueduc des Arceaux et les cheminées de l'entreprise Matte - ©D.R.
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Au début du XIXesiècle, selon la direction du vent, une odeur entêtante se mit à flotter sur les terrasses du Peyrou. Les promeneurs découvrirent le spectacle de hautes cheminées de briques, des ouvrières et des charrettes déchargeant les sacs de fèves importées d’Afrique et d’Amérique Centrale. C’est en effet en 1820, dans le quartier des Arceaux, rue Saint-Louis, que démarra l’aventure d’une des plus florissantes entreprises Montpelliéraines : celle de la fabrique Matte, du nom de son fondateur, Pascal Jaques, héritier d’une célèbre famille de chimistes et de parfumeurs. Dans la chaleur infernale d’une immense chaudière actionnant la machine à vapeur, l’usine produisait quotidiennement 700 kilos de chocolat. 

Illustration Matte Fils, manufacture de chocolat
©D.R.

La fabrique des Arceaux

Mais le grand chocolatier de la famille, ce fut pourtant lui, Jean "Louis" Gabriel Matte. Il venait tout juste d’avoir quarante ans, lorsque Pascal Jacques, son père, lui abandonna les rênes de la fabrique. Doué d’un fort esprit d’entreprise, il avait assimilé toutes les règles de la publicité naissante, faisant ainsi décliner sur les murs de la ville et dans tous les journaux, le slogan familier : « De Paris au Japon, du Japon jusqu’à Lattes, le meilleur chocolat c’est le chocolat Matte ». Il reprend l’idée lancée par Auguste Poulain, et fait à son tour glisser dans ses plaquettes, les célèbres « chromos » collectionnés par les petits comme les grands, jolies images naïves, parfois pédagogiques, et toujours signées à l’enseigne de la maison. Dans la belle boutique qu’il avait fait ouvrir au 39 rue Saint-Guilhem, les clients venaient s’approvisionner – selon leur budget – en épluchures ou en rondelles à faire fondre dans le lait. 

Photo de Louis Matte
Jean Louis Gabriel Matte (1838-1907) - ©D.R.

Louis Matte : le grand chocolatier 

Homme jovial, sportif passionné, unanimement apprécié de son personnel qui lui organisait chaque année une fête pour la Saint-Louis et qu’il récompensait par des grands pique-niques en bord de Lez, Louis Matte fut une figure centrale de la vie Montpelliéraine. Nommé membre du conseil municipal en 1888, adjoint au maire en 1892 sous l’administration de Mr Baumel et conseiller d’arrondissement, il fut également administrateur de la Caisse d’Épargne, juge au Tribunal de commerce et membre de la Chambre de commerce. Membre fondateur de la société de gymnastique « La Revanche », de la société « L’Union Musicale », il fut surtout un aficionado du jeu de mail. Président des « Chevaliers du noble jeu du Bois-Roulant », il fit ainsi ouvrir plusieurs aires de jeux, dont une aux Arceaux. Et son buste, taillé en 1901 par le célèbre sculpteur Baussan, veilla sur les pratiquants au siège de l’association. 

Chromo à jouer de l'âne
©D.R.
Chromo de l'omelette
©D.R.
Chromo de la mi-carême
©D.R.
Chromo de Paganini
Les célèbres "chromos" des plaquettes de chocolat Matte La Faveur, collectionnés par les petits et les grands - ©D.R.
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Chromo à jouer de l'âne
- ©D.R.
Chromo de l'omelette
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Chromo de la mi-carême
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Chromo de Paganini
Les célèbres "chromos" des plaquettes de chocolat Matte La Faveur, collectionnés par les petits et les grands - ©D.R.

Le bonheur des gourmands

À sa mort, en 1907, son fils, Jacques Etienne prit le relais de l’entreprise. Ce dernier dût faire face alors à la concurrence sévère menée par d’autres chocolatiers, comme la dynastie Menier. Puis, aux restrictions liées au conflit mondial. En mars 1918, faute de sucre, une note du Commissariat central, signale que l’industriel a été ainsi contraint à licencier ses ouvriers et ses ouvrières « jusqu’à nouvel ordre ». Pendant la deuxième guerre mondiale, en place du café torréfié par la fabrique, c’est de pois-chiches dont les usagers doivent se contenter. Les anciens Montpelliérains se souviennent avec nostalgie de la jolie boutique de la rue Saint-Guilhem où les petites vendeuses, logées dans les étages, venaient à toute heure ouvrir la porte du magasin. On s’y approvisionnait en bâtons fourrés de crème, en réglisse, bonbons au coquelicot ou à la pâte d’escargot. Et bien sûr en chocolat, dont les célèbres Malakoffs, barres chocolatées aux noisettes enveloppées dans un papier orange. La lumière ne semblait jamais devoir s’y éteindre. Avant l’incendie qui mit un terme à l’aventure au milieu des années soixante, il n’y eut qu’un jour de 1920, où les clients trouvèrent la porte close. Prévenues par la ligne directe du téléphone qui y avait été installée, les petites vendeuses avaient momentanément déserté la boutique pour se précipiter rue Saint-Louis, où dans la liesse générale, on fêtait ce jour-là, 100 ans de chocolat

Sur le fronton de la Halle aux Colonnes, rue de la Loge, l'inscription Matte La Faveur
Sur le fronton de la Halle aux Colonnes, rue de la Loge, l'inscription "Chocolat La Faveur" - ©Archives de Montpellier

L’EXCEPTION LÉO MALET

Rares sont les enfants qui n’aiment pas le chocolat. L’inventeur du célèbre détective Nestor Burma, le Montpelliérain Léo Malet (1909-1996) fut pourtant un de ceux-là. Dans son ouvrage autobiographique, « La Vache enragée », publié en 1946, l’auteur en attribue même sa détestation à… l’entreprise Matte. « Je suis allé d’abord à l’école maternelle […] près de laquelle se trouvait l’usine Matte qui fabriquait du chocolat et répandait partout une odeur écœurante de cacao et de sucre, ce qui m’a dégoûté pour toujours du chocolat. » Un dégoût qu’il poussera jusqu’au crime, puisqu’en 1946, dans « Nestor Burma et le monstre », le célèbre détective se trouve aux prises avec un meurtrier qui tue ses victimes… avec du chocolat.

 

La boutique Matte fils, rue Saint-Guilhem
La boutique Matte fils, rue Saint-Guilhem - ©D.R.
image chocolat la faveur, la préparation du chocolat