Le premier rendez-vous est manqué. Cinq mois avant son passage, dans la nuit du 6 avril 1881, un incendie a ravagé le Grand Théâtre. Il faut se déplacer jusqu’à Nîmes où elle a accepté de jouer. Mais deux ans plus tard, en juin 1883, on peut enfin applaudir le « phénomène » sur une scène montpelliéraine. Celle du beau « théâtre provisoire » construit sur le Champ de Mars par l’architecte Léopold Carlier. Deux heures avant l’ouverture, les spectateurs s’amassent devant les portes au risque de les briser. Et c’est sous les traits – et dans les élégantes toilettes - de la princesse russe Fedora que Sarah Bernhardt fait ainsi ses « débuts » à Montpellier. Rappels, ovations, on lui fait un triomphe. Mais la double affiche du lendemain, une mauvaise comédie de Scribe suivie d’une pantomime intitulée Pierrot assassin, est accueillie plus froidement. Très vite, le chahut s’installe. On s’en prend à l’orchestre. Puis aux interprètes. Après une telle défaite, on la croit fâchée pour toujours avec Montpellier.

Un premier rendez-vous manqué
Ce serait mal la connaître. Ayant tout osé, tout tenté, traversé le globe de part en part, voyagé en ballon, bravé la neige, les incendies ou les cow-boys qui menaçaient son convoi, elle n’est pas du genre à se laisser impressionner par quelques « clapasseries » bien innocentes. On l’annonce dans Froufrou. Elle revient le 16 mai 1888 dans La Tosca, créée à l’automne précédent au théâtre de la Porte Saint-Martin. Alors que les travaux du Grand Théâtre sur la Comédie se terminent, c’est encore le « théâtre provisoire » qui accueille l’actrice à peine rentrée d’une tournée au Portugal. Puis on l’annonce encore en 1897. Mais il faut attendre les deux dates prévues en septembre 1901 pour voir enfin Sarah fouler la scène du Grand Théâtre reconstruit sur la Comédie.
« La Dame aux camélias » et « L’Aiglon »
L’affiche est éblouissante, mêlant dans le cadre d’une tournée internationale démarrée à Bruxelles, deux de ses plus grands rôles, La Dame aux Camélias d’Alexandre Dumas, suivi de L’Aiglon, son plus récent triomphe, écrit sur mesure par l’auteur de Cyrano de Bergerac, Edmond Rostand. Les régisseurs de la troupe se sont déplacés à l’avance pour régler les détails de la mise en scène, des décors, de la musique. Le soir de la première, il faut rajouter des chaises à l’orchestre. Et il en est ainsi, désormais, à chacun de ses passages. Comme en 1902, malgré un prix des places élevé, lorsqu’elle vient donner une représentation unique de la pièce de Meilhac et Halévy, Froufrou. Puis, en 1908, pour La Sorcière de Victorien Sardou. Et encore, en octobre 1909, lorsqu’elle revient jouer La Dame aux Camélias.
Le train spécial de 10h29
« Mais enfin quel âge a-t-elle ? », s’étonne une partie du public montpelliérain lorsqu’en juin 1910, elle reprend le rôle de L’Aiglon. Sur scène, dans son costume blanc dessiné par Paul Poiret, elle interprète le Duc de Reichstadt, le fils de Napoléon, le jeune garçon espiègle, désabusé, de 21 ans. Elle en a 66. Tout autour d’elle, comme les ombres de Wagram qu’évoquent la pièce, s’agitent les fantômes de ses rôles, de ses vies démultipliées. Le succès est tel à Montpellier que, quelques mois plus tard, le 2 octobre, la troupe du Théâtre Sarah Bernhardt revient donner deux nouvelles représentations. Mais cette fois, Sarah n’est pas de la distribution. On lui a diagnostiqué une tuberculose osseuse qui va conduire à l’amputation de sa jambe. Elle n’en ralentit qu’à peine son activité. Remonte sur scène, part en tournée en Amérique, donne des conférences, sculpte, peint, écrit ses « Mémoires », de sorte que lorsqu’elle s’éteint en mars 1923, elle ne semble qu’avoir entrepris un autre de ses innombrables voyages. Et les Montpelliérains gardent cette vision d’elle, quittant la ville un jour de fin d’été, par le train spécial de 10h29, penchée à la portière de son wagon-salon et répondant aux nombreux saluts, un gracieux sourire aux lèvres.

En juin 1910, la célèbre "voix d'or" de Sarah Bernhardt résonne une dernière fois sous les voûtes du Grand Théâtre. Elle y interprète, à 66 ans, le rôle titre de L'Aiglon, créé pour elle par Edmond Rostand.